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venter aussi d’autres faits qui l’accompagnent, le rendent vraisemblable ; c’est tout un édifice à bâtir, où chaque pierre en appelle une autre, où le premier étage en nécessite un second, et le second un troisième. Tant et si bien, que le frêle édifice, trop chargé, branle, puis un beau jour croule sous le moindre vent. I] n’est pas aisé, dans ce monde rempli de réalités, de trouver une place vide pour le mensonge. Le moindre petit fait vivant et réel qui accroche cette bulle d’air la crève. Aussi, les menteurs ont beau être retors et inventifs, et employer à mal plus d’imagination qu’il n’en faudrait pour découvrir de belles vérités, ils arrivent toujours à être en défaut ; pas un qui ne soit reconnu pour ce qu’il est, et par conséquent privé de l’estime et de la confiance de ses semblables. Quand ils en sont là, ils continuent à mentir, par habitude ; mais ils ne trompent plus personne, et sont complétement méprisés.

Pendant longtemps la confiance qu’Édouard avait acquise par sa franchise précédente empêcha qu’on se défiât de lui, et fit croire aisément ses mensonges. Ce fut pour lui un grand malheur ; car il vécut ainsi plus longtemps dans un état si nuisible au caractère, que c’est difficilement qu’il se relève, et si fatal à la réputation, que la plupart des gens refusent à jamais toute estime à celui qui les a une fois trompés.

Le prétexte qu’il avait donné pour expliquer sa première absence lui servit tous les jeudis à rentrer une heure plus tard. Son papa n’était pas à la maison à cette heure-là. Sa maman le croyait, et comme aucun enfant de leur connaissance intime n’allait au lycée, elle n’eut point occasion de découvrir que le supplément de leçon allégué par Édouard n’avait pas lieu. Quant au club du samedi, Édouard n’y passait qu’une demi-heure, et trouvait alors chaque fois quelque mensonge nouveau pour excuser son retard. Tantôt c’était un encombrement de voitures, un incident dont il avait été témoin, un camarade rencontré, un livre oublié. Une fois habitué à mentir, bientôt il se mit à broder ses inventions de mille détails, destinés à leur donner plus de vraisemblance. Ainsi fit-il du conte d’une bouquetière, dont la petite voiture s’était renversée, qu’il avait aidée complaisamment à ramasser ses fleurs, à dépêtrer les roses d’avec les chrysanthèmes et les jasmins d’avec les dahlias, et qui lui avait remis une rose pour sa mère. Cette rose qu’il apportait, en effet, lui avait coûté 20 centimes.

Combien de fois la pauvre maman d’Édouard lui demanda-t-elle en souriant, à l’aspect d’une bouquetière : — Est-ce celle-là ?

Une mère qui a confiance en son fils n’est pas facile à désabuser. Son illusion lui est si chère qu’elle ne veut pas la perdre et qu’elle repousse tous les doutes qui peuvent se présenter. La vérité même en pareil cas serait traitée par elle de mensonge. Mais les autres sont plus clairvoyants.

Édouard, ayant pris l’habitude du mensonge, S’en fit bientôt un jeu vis-à-vis de tout le monde. Il mentit vis-à-vis de ses jeunes amis, vis-à-vis de leurs parents, quand il y avait à justifier quelque incartade ; il mentit de même à Mariette, pour de petits méfaits domestiques, et se fit mépriser de cette bonne fille qui, elle probe et loyale, détestait les menteurs. Enfin, deux ou trois affaires de ce genre qu’il eut avec le concierge firent sa réputation dans tout le quartier. Bientôt il fut signalé comme un mauvais sujet : on évita sa compagnie ; les parents de ses jeunes amis le traitèrent avec froideur et cessèrent de l’inviter autant que ce fut possible, sans rompre avec son père et sa