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faute de mieux, de leur taille, et vis-à vis des petits, faisaient les hommes.

Les petits étaient bien bons de prendre cela au sérieux, Ils n’avaient qu’à objecter à ces prétentions que l’on n’est grand que par la sagesse et l’intelligence ; mais eux aussi avaient leur coin de sottise sur ce point, et quelques poils follets au menton, un étui à cigares dans la poche, composaient à ces faux grands un prestige étonnant ; c’en était assez pour que les petits se disputassent l’honneur d’être de leurs intimes et de prendre part à leurs entretiens. Édouard était un de ces élus et en était fier.

Donc, une après-midi, pendant la ré création, les grands rassemblèrent dans un coin de la cour leurs fidèles, et le plus grand de tous prit la parole : on vit tout de suite qu’il s’agissait de quelque chose de très-important ; car l’orateur assumait un air profond qu’augmentait la pose de sa casquette penchée sur l’oreille ; de plus, mettant la main dans sa poche, il en retira une cigarette qu’il roula négligemment entre ses doigts, et qui devait ajouter à son discours toute l’autorité que prêtait autrefois le sceptre à la main du roi ; enfin il toussa, cracha, d’un air délibéré mit la main gauche dans son gilet et dit :

« Messieurs !… Nous avons résolu de fonder un club !… »

Ce furent des exclamations d’étonnement, des murmures respectueux.

« Un club !… Est-ce possible ! Quoi, un vrai club…

— Un club qui s’appellera : club de la Nouvelle-Basoche. Que tous ceux d’entre vous qui ne portent plus le bourrelet de l’enfance et qui ont perdu le goût du biberon lèvent la main. »

Toutes les mains se levèrent, et cependant on ne savait pas encore bien pourquoi.

« Oui, ça va ! ça va ! » disaient les uns, mais d’une voix timide.

L’enthousiasme était évidemment tempéré par l’ignorance. L’orateur s’en aperçut et reprit :

« Club, comme vous le savez ou ne le savez pas, est un mot anglais qui signifie réunion. Ça se prononce cleub parmi les gens comme il faut. C’est donc une réunion de gens qui s’associent pour causer, avoir des journaux, des cigares, des grogs, et tuer le temps. »

On applaudit. Tuer le temps ! Pauvres petits fous ! Le temps, la richesse des hommes et surtout peut-être des enfants ! le tuer, n’est-ce pas tuer la vie, c’est-à-dire en faire une chose morte, insignifiante, au lieu de tout ce que peut donner de biens, de connaissances, de forces, de joies le bon emploi du temps ? Tuer le temps, n’est pas autre chose que se tuer soi-même.

« Mais comment faire, demanda Édouard, pour…

— Nous avons tout prévu, jeune homme, dit un autre grand. Nous avons une salle au café de la Pintade, rue d’Amsterdam. On met à notre disposition tous les journaux de l’établissement. On nous apportera des cigares, ainsi que les consommations demandées sur délibération du conseil. Nous fondons en outre un journal, le journal de la Nouvelle-Basoche, où chacun pourra produire ses idées, s’il en a. Ce journal, d’abord manuscrit, sera imprimé quand on aura réuni les capitaux nécessaires. Les réunions auront lieu le jeudi et le samedi. Chaque membre est tenu de payer une cotisation de 1 fr. 50 par mois.

— Cette somme est très-minime, ajouta le premier orateur ; mais nous n’avons pas voulu exclure ceux que la lésinerie de leurs parents réduit à avoir le gousset presque vide. Seulement, ceux qui doubleront cette somme et qui pourront ajouter de temps en temps des extras à la consommation, seront déclarés fondateurs du