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LA JUSTICE DES CHOSES

MENTEUR !

Oh ! le vilain mot que celui-là ! De tous ceux qui expriment de mauvaises choses, je crois qu’il est le pire.

En effet, il n’est pas de fautes que ne rachète la sincérité du repentir, la bonne foi, la bonne volonté de celui qui dit aux autres — et se dit surtout à lui-même : Oui, c’est vrai, j’ai mal fait. J’ai agi sous l’empire d’un aveuglement, d’une sottise ou d’une passion ; mais je reconnais mon tort, et n’agirai plus de même.

Comment ne pas pardonner à celui qui parle et pense ainsi ?

Mais le menteur, celui qui précisément a perdu cette grande qualité d’être sincère ; qui à fait de la parole, c’est-à-dire du moyen de s’entendre, le moyen de tromper, comment savoir s’il se repent ? comment désormais le croire quand il parle ?

On ne sait ; il ne fournit plus de garanties. Il a rompu le pacte qu’une langue commune établit entre les hommes. On était convenu tous ensemble que oui veut dire : cela est, et que non veut dire : cela n’est pas. Et lui, le menteur, il a dit oui pour ce qui n’existe pas, non pour ce qui est. Il n°y a donc plus moyen de s’entendre avec lui, et on aurait le droit de lvi dire : — Vous n’acceptez pas le contrat fait entre nous ; vous nous donnez la nuit à la place du jour, vous nous faites l’erreur à la place de la vérité, vous n’êtes pas des nôtres : laissez-nous !

Cette époque de la vie d’Édouard est bien triste, et je voudrais n’avoir pas à la raconter. Nous nous sommes attachés à lui, parce que nous avons trouvé en lui notre semblable, par moments, notre pareil ; pour l’avoir senti en plus d’une circonstance notre frère, il est devenu notre ami. Il avait ses défauts ; mais nous ne sommes pas parfaits non plus, et notre conscience nous a plus d’une fois soufflé à l’oreille que nous nous sommes trompés comme lui bien souvent, et que nous n’avons pas toujours mis peut-être autant d’empressement à le reconnaître. Mais voici qui devient plus grave ; car, heureusement, nous n’avons pas tous été menteurs, et beaucoup d’entre vous, peut-être, n’aimeront plus Édouard.

Il y a même encore autre chose, qui paraît étrange au premier abord : c’est que les menteurs eux-mêmes vont refuser leur estime à Édouard, et se sentir moins d’amitié pour lui.

Oui, cela semble bizarre ; mais c’est ainsi. Il ne faut pas croire qu’on aime chez les autres les défauts qu’on a. Pas du tout ! nous sommes tous d’avis que le bien, le vrai, le bon, sont choses désirables, excellentes, et nous les demandons aux autres et nous voulons qu’on nous les donne, même quand nous ne les donnons pas.

Si Édouard devint menteur, ce fut à cause de ce sot travers qu’il avait pris, de vouloir paraître, avant l’âge, un homme. Un défaut en entraine toujours d’autres. C’est comme une horrible famille : ceux-ci pères, les autres fils ; les uns frères, et ceux-là cousins.

I] y avait dans la division d’Édouard au collége, ceux qu’on appelait les grands. C’étaient des élèves plus âgés que les autres, qui, soit insuffisance naturelle, soit paresse, avaient dû redoubler leurs classes une fois ou deux fois. Ces garçons-là, ne pouvant être fiers de leurs succès, l’étaient,