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tête des jeunes gens, disparurent au tournant du défilé, salués une dernière fois de deux balles et de deux flèches.

Un hurrah triomphant fut poussé par sir John. Les lions étaient vaincus. Quatre cadavres gisaient sur le sol.

On s’empressa près de sir John Murray. Avec l’aide de ses amis, il put se relever. Sa jambe, fort heureusement, n’était pas cassée. Quant à l’indigène que le coup de tête avait renversé, il revint à lui après quelques instants, n’ayant été qu’étourdi par cette violente poussée. Une heure plus tard, la petite troupe avait regagné le taillis où les chevaux étaient attachés, sans avoir revu le couple fugitif.

« Eh bien ! dit alors Mokoum à sir John, Votre Honneur est-il satisfait de nos perdreaux d’Afrique ?

— Enchanté, répondit sir John en frottant sa jambe contusionnée, enchanté !

Mais quelle queue ils ont, mon digne bush-man, quelle queue ! »

- Jules Verne.

La suite prochainement.

{Reproduction et traduction interdites, )


LA JUSTICE DES CHOSES

ÉDOUARD IMPORTANT

Au retour des vacances, Édouard avait dix ans passés. Il avait fort grandi. Ce n’était pas un homme, toutefois ; mais il avait cette malheureuse prétention de l’être, qui est le défaut d’un assez grand nombre d’enfants, et qui les pousse à se priver des joies de leur âge, sans pouvoir, quoi qu’ils fassent, goûter celles de l’âge qu’ils n’ont pas encore.

Déjà, au collège, Édouard avait contracté, dans une certaine mesure, ce travers, Pendant les vacances, vivant journellement dans la société de jeunes gens de seize, dix-huit et vingt ans, qui, bien prématurément, fumaient, chassaient et se piquaient eux aussi d’être déjà tout à fait des hommes, le pauvre Édouard s’était mis à mépriser ce doux âge de dix ans si frais, si rose, si charmant, si bon à vivre, qu’il avait le bonheur de posséder, et dont vous devriez, enfants, si vous saviez ce qu’il vaut, savourer toutes les heures, en les retenant, le plus longtemps possible près de vous. Dix ans, c’est l’âge où l’intelligence devient grande en restant naïve, où le cœur de l’enfant commence à sentir qu’après avoir été beaucoup aimé, il doit aimer à son tour ; c’est l’heure où monte le soleil dans le ciel rose, après les vagues ct flottantes brumes du matin ; l’âge où l’on possède encore un berceau, ou du moins un petit lit, bordé chaque soir par la main d’une mère, et tout parfumé de ses baisers, tandis que déjà la science et l’humanité, penchées de l’autre côté sur le jeune enfant des hommes, lui ouvrent d’éblouissants horizons. C’est la quiétude et l’aspiration unies, un rendez-vous d’aubes, un entrelacement de rayons.

« Trop de latin, » pensait Édouard. C’est vrai ; mais à seize ans, il y en a plus encore ; à trente, il y a bien autre chose. Oui, je vous l’assure, quand on a ses dix ans, il faut les garder, en jouir, et ne point perdre cette année précieuse qui ne dure — remarquez-le bien — que trois