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Alors, monsieur, on va vous donner un billet de retour pour Paris, et c’est à vos parents que vous aurez à rendre compte de votre conduite. »

Bientôt après, en effet, Édouard reprenait le train pour Paris, où le recevait, à son arrivée gare Saint-Lazare, son père mécontent. Édouard avait eu son salaire d’ennui personnel ; mais il avait en outre gâté la journée de plaisir de la famille.

Après cette aventure, Édouard commença décidément à se dire que si l’étourderie n’était pas un crime, elle était du moins un défaut capable de causer de grands désagréments, tant à soi-même qu’aux autres qui, d’ailleurs, s’arrangent toujours pour vous le rendre. On le vit devenir plus attentif et plus réfléchi. Cependant il n’est pas facile de se corriger tout d’un coup ; et s’il faut pour cela une bonne volonté soutenue, il y faut encore du temps et de l’habitude. Édouard ne fut entièrement corrigé autant qu’un enfant peut l’être de l’étourderie qu’après une scène dont l’impression fut terrible et décisive.

C’était pendant les vacances. Édouard et sa famille étaient allés passer un mois en Bourgogne, chez des amis. Il y avait là un certain nombre de visiteurs rassemblés : mamans et papas, jeunes gens, enfants. On faisait des chasses et des courses joyeuses aux environs. La campagne était belle, les bois épais, les champs infinis. Oh ! c’étaient de bien bonnes vacances !

Il y avait deux ânes pour les enfants, et souvent Édouard en montait un qu’il faisait courir !… Il tomba plus d’une fois, quand maître Aliboron (Édouard savait maintenant le nom littéraire de ce personnage, comédien ordinaire de Sa Majesté humaine au théâtre classique des vieux contes et fabliaux), quand maître Aliboron, las de son cavalier, levait en l’air sa croupe et ses quatre pieds. Mais les ânes sont si peu hauts, l’herbe des prairies était si épaisse que la chose ne tirait pas à conséquence et qu’on ne se relevait que plus animé par cet incident.

Édouard était trop jeune pour qu’on lui confiât un fusil ; mais il n’en allait pas moins à la chasse, tantôt sur les talons des chasseurs, tantôt s’écartant de çà, de là, courant, volant, franchissant les haies et les fossés, effarouchant les oiseaux, poursuivant les lièvres et les lapins à la course, remplissant enfin, ainsi que le déclarait l’aîné de ses cousins, à défaut du rôle de chasseur, celui d’un chien mal dressé. Quoique peu satisfait de cette plaisanterie, Édouard ne s’en fâchait pas. Il tenait à conserver ces attributions, tout inférieures qu’elles fussent, et regrettant vivement de ne point avoir une arme à feu en sa possession, il se rapprochait du moins le plus possible de ce bonheur.

Toucher ces armes, en examiner chaque détail, était un des grands plaisirs, une des curiosités d’Édouard ; et quand les jeunes gens, au retour de la chasse, avaient suspendu leurs fusils au mur, soigneusement déchargés, Édouard souvent se glissait dans le cabinet, s’emparait d’un de ces fusils, en armait le chien et en faisait jouer la détente. Une fois, son oncle le surprit dans cette occupation et lui ôta l’arme des mains.

« Tu peux la gâter, dit-il, et puis il pourrait t’arriver un accident.

— Oh ! mon oncle, je sais très-bien… et puis ils sont déchargés.

— Ils doivent l’être ; mais les étourdis ne sont pas rares en ce monde, et la preuve, c’est que chaque année, à l’époque de la chasse, il arrive une vingtaine d’accidents de ce genre, et ce sont toujours des armes qu’on croyait déchargées et qui ne l’étaient pas. Il ne faut pas toucher à ça, mon garçon. Ce ne sont pas des joujoux. »