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Édouard se hâte de descendre. Il va enfin retrouver ses parents. Mais — chose étrange ! — tout le monde est descendu, et pourtant ils n’y sont pas !

Inquiet, éperdu, Édouard s’en va regarder dans chaque voiture. Personne !

Il entend alors un employé, près de lui, répondre à quelqu’un :

« L’express part à midi trente !

— L’express !… Pour Paris, Monsieur ?

— Non, pour Rouen. »

Et l’employé s’éloigne.

La géographie d’Édouard n’y est plus : sa tête se brouille. Tout à coup il se sent frapper sur l’épaule. C’est le monsieur qui a ri, Son voisin d’en face.

« Mon petit ami, vous me paraissez fourvoyé. »

Fourvoyé, mon petit ami, et, cet air moqueur !… Ce monsieur est décidément désagréable. Édouard n’aime pas qu’on se moque de lui ; et puis, quand il a une idée en tête, ah ! dame, il ne la change pas facilement, Aussi répond-il d’un ton superbe :

« Je ne suis pas fourvoyé du tout, et je sais très-bien ce que je fais. »

Et il tourne le dos au monsieur ; mais pas si vite qu’il ne s’entende dire :

« C’est beau de prendre des airs capables ; mais il faudrait pour cela n’avoir pas la tête d’un étourneau et ne pas s’embarquer pour le Havre quand on veut aller à Saint-Germain.

— Le Havre ! »

Édouard est pétrifié. Il se retourne, voit la figure moqueuse du monsieur qui hausse les épaules, pique une tête dans la foule, s’y cache, et bientôt après va s’appuyer le long du mur de la gare où il fond en larmes.

Perdu ! si loin de Paris ! ses parents inquiets ! Pas d’argent ! rien que sa pièce de dix sous, et un billet pour Saint-Germain à présenter au contrôleur de sortie Oh ! malheur ! malheur !…

Cette fois, Édouard s’accuse vivement lui-même et maudit son étourderie dont la peine retombe sur lui, il pense avec honte que son aventure va faire événement dans la gare, que les uns vont le plaindre et les autres le railler. Aussi attendit-il que toute la foule des voyageurs se fût écoulée, et encore ne pouvait-il se décider à se présenter aux employés, quand l’un d’eux, voyant ce petit garçon dans un coin, tout piteux, s’approcha de lui.

« C’est-il vous qui prenez le train du Havre pour aller à Saint-Germain ? demanda-t-il ; car il avait été prévenu par le monsieur, compagnon de voyage d’Édouard. Eh bien ! vous en faites de belles ! Vous n’avez donc ni père ni mère, que vous courez comme cela tout seul ? »

Le ton de cet employé n’était pas moins moqueur et était certainement plus rude que celui du monsieur qui avait averti Édouard ; mais cette fois Édouard ne se fâcha pas, tant il était confus et sentait le besoin d’appui. Il dut comparaître devant le chef de gare qui télégraphia aussitôt à Saint-Germain et à Paris, et ne se fit fauté auparavant d’adresser à l’étourdi une verte semonce.

« Ainsi, monsieur, vous venez à Mantes avec un billet pour Saint-Germain ? C’est 4 fr. 85 que vous devez pour le prix de votre place. »

Le front baissé, rougissant, Édouard dut répondre qu’il n’avait que 50 centimes.

« Fort bien, monsieur. Alors, savez-vous ce que fait la compagnie aux gens qui prennent ses wagons sans les payer ? Elle les fait mettre en prison.

— Je ne l’ai pas fait exprès, dit Édouard dont les larmes recommencèrent à couler.

— Oh ! sans doute. C’est là ce que disent tous les délinquants. Vous ne voulez pas aller en prison, je le vois bien.