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crime, mais c’est un défaut très-désagréable dans une famille où chacun a son utilité à remplir, et ce défaut témoigne d’une insouciance pour le bien commun, dont on ne peut savoir bon gré à celui qui s’en rend coupable. Comme tu es assez intelligent pour distinguer les pois des lentilles et le sucre de l’amidon, il est certain que c’est la bonne volonté qui se trouve ici en défaut. Si on te rendait la pareille et qu’on oubliât, par exemple, de te préparer ton chocolat le matin ou les vêtements dont tu as besoin, que dirais-tu ? Ce serait pourtant la même chose. Pourquoi serions-nous plus obligés envers toi que tu ne l’es envers nous ? »

Édouard ne répondit rien, ce qui est la manière de convenir qu’on a tort, généralement préférée ; mais, bien qu’il reconnût la vérité des observations de son papa, elles ne le corrigèrent point, et l’impression n’en dura que deux ou trois jours, au bout desquels il oublia complétement une recommandation de sa mère qui lui avait dit le matin :

« Nous manquons de sucre, Édouard. En attendant que l’épicier m’envoie la provision que je lui ai demandée, ce qui peut tarder, pense bien à nous en apporter une livre pour le déjeuner. »

Au déjeuner, quand on servit le café, Mariette posa sur la table le sucrier presque vide.

« Ah ! le sucre, Édouard ! »

Édouard se frappa le front et baissa la tête, pantomime connue.

« Toujours la même insuffisance, dit la maman ; c’est vraiment fâcheux, Édouard. »

En regardant dans le sucrier, elle y trouva encore trois morceaux de sucre assez gros.

« Ma foi ! Mme la Justice est fée aujourd’hui, » dit le papa, qui distribua immédiatement les trois morceaux de sucre entre la maman, Adrienne et lui.

Édouard n’aimait pas le café sans sucre. Il baissa la tête un peu plus bas, très-mortifié, mais la releva tout à coup sur cette exclamation de son père :

« Ah ! par exemple ! non, je m’y oppose ! cela n’est pas raisonnable. »

Qu’y avait-il donc ? — Un petit morceau de sucre sur la soucoupe d’Édouard, c’est-à-dire la moitié de celui de la maman.

« Pauvre chère maman !

— Eh bien ! mais, répondit-elle, je n’ai pas été étourdie, moi. Pourquoi donc serais-je punie ? »

Édouard se leva vite de sa chaise ; et comme il l’embrassa de bon cœur cette bonne mère qui se trouvait punie par les privations de son fils ! Alors il dit, comme il le pensait :

« Maman, puisque tu ne veux pas que je sois puni, il faut que ton café ait assez de sucre. »

Et jetant le morceau dans la tasse de sa mère, il avala d’un trait le breuvage amer de sa petite tasse. Le papa sourit ; la maman, l’œil humide, donna un nouveau baiser, et ce jour-là, vraiment, ce fut Édouard qui eut le dernier mot avec Mme la Justice des choses.

Mais elle prit bien sa revanche.

Édouard avait une grand’maman, chez laquelle on allait dîner le dimanche, et où l’on mangeait toujours, au dessert, du gâteau et des bonbons.

Chez cette grand’maman, il y avait aussi un beau perroquet, un ara, sur un grand perchoir, dans le salon ; et ce perroquet connaissait très-bien Édouard, au point qu’il s’écriait toujours en l’apercevant :

« Petit brigand ! veux-tu bien finir ! »

Phrase qu’il avait apprise à l’entendre répéter à la grand’mère pendant l’enfance d’Édouard.

Un dimanche Édouard et le perroquet se trouvaient seuls au salon. La promenade avait été fort courte ce jour-là, parce