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Il jeta un nouveau coup d’œil sur la pendule : huit heures vingt minutes ! Il ne pouvait plus arriver à l’heure, bien sûr. Et alors la réprimande, le pensum. Ô rage ! ô malheur ! Il frappa du pied ; s’il eût osé, il eut bien cassé quelque chose.

« Mon cahier ! mon cahier ! » répétait-il. Et s’il ne cria pas, comme Richard III : Mon royaume pour un cahier ! c’est non-seulement parce qu’il n’avait pas de royaume, mais parce qu’il n’avait pas lu Shakespeare. Le sentiment néanmoins était le même.

Il se mit à parcourir la salle à manger tout éperdu, rouge, le front humide de sueur, bouleversant d’une main fébrile des objets déjà dix fois retournés, et chaque fois qu’il regardait la pendule et qu’il voyait cette odieuse petite aiguille, cette aiguille sans cœur, marquer une minute de plus, son sang bouillonnait avec plus de force, il devenait vraiment furibond de colère, et pour cette raison qu’il avait perdu son cahier, il aurait de bon cœur battu quelqu’un, car ce devait être la faute de quelqu’un.

Les choses en étaient là, quand la maman entra dans la salle à manger et dit, d’un ton froid qui fit quelque peu l’effet d’une douche sur l’effervescence d’Édouard :

« Je trouve, mon enfant, que tu fais beaucoup de bruit. »

Puis, regardant aussi la pendule, elle ajoutait :

« Évidemment tu as manqué l’heure. Tu seras puni.

— Je le serai encore bien plus si je n’ai pas mon cahier ! » s’écria Édouard qui, n’osant plus, devant sa maman, s’en prendre à personne, saisit à deux mains ses cheveux, par un geste que révèlent tous les désespoirs.

La maman parcourut du regard la salle à manger, alla soulever sur les meubles quelques objets, et s’étant assurée que le cahier n’était là nulle part, demanda à visiter le sac d’Édouard.

Cette idée contenait un soupçon grave : supposer Édouard capable d’une pareille étourderie !… Aussi la repoussa-t-il avec indignation comme un outrage.

« Dans mon sac !… dans mon sac !… Ah bien ! par exemple ! C’est moi qui l’ai fait, mon sac, et apparemment je sais bien…

Sans doute, dit la maman ; mais puisque nous avons cherché partout ailleurs et qu’il n’y est pas, il ne reste plus qu’à voir ici. Laisse-moi faire.

— C’est impossible ! allons donc !… Si tu veux me faire perdre mon temps tout à fait, je ne puis pas t’en empêcher, mais… Oh ! quelle idée ! quelle idée !… Quand je te dis que c’est impossible !… »

Si impossible, qu’au milieu des dénégations, des indignations, des haussements d’épaules même car l’impatience n’est pas polie du petit garçon, la maman découvrit, parmi les autres cahiers et les livres dont le sac d’Édouard était rempli, un cahier portant en gros caractères, au milieu d’un écusson formé de capricieuses arabesques, d’aigles et d’étendards, et flanqué à droite et à gauche de deux sénateurs romains :

« Cahier de versions, à moi Édouard, habitant de la cité de Lutèce, commencé le 7e jour des calendes du mois de Janus, l’an de Rome, etc. »

Et je vous laisse à penser si Édouard se trouva confus, s’il eut quelque chose à répondre au ricanement que fit entendre Mariette, aux exclamations moqueuses d’Adrienne, et si, le sac une fois rebouclé et mis sur ses épaules, il fila tête basse, à grands pas, vers le collége où l’attendait le pensum que son étourderie avait mérité. Car il est fâcheux assurément d’avoir tant crié contre les autres, quand on était seul coupable, et d’avoir pris toute une