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une fois guéri et remis sur ses quatre pattes, se trouva être un joli jeune chien de chasse de la race des chiens couchants. Il devait grandir encore, et, bien soigné et bien élevé, devenait plus beau tous les jours. Tout le monde de la maison l’aimait et il aimait tout le monde. Mais son affection pour Édouard était de beaucoup la plus vive. Il se rappelait certainement d’avoir été recueilli par lui, et de son côté Édouard aimait son chien, non-seulement parce que Apis était bon et gentil, mais parce que Édouard, non sans raison, sentait que sa bonne action envers celui-ci avait un peu racheté la mauvaise action commise contre l’autre. Désormais Édouard fut bon et secourable pour les pauvres animaux que les hommes trop souvent traitent comme des jouets ou des instruments insensibles ; et il répondait aux sots qui, parfois, l’en raillaient :

« S’ils ne sont pas nos frères par la pensée, ils le sont par la souffrance. Et la plupart en outre savent aimer. »

Depuis le meurtre du pauvre chien, Édouard avait aussi une préoccupation. Elle était relative au grand garçon qui avait le plus excité la bande à ce meurtre, et qui, lui, n’avait jamais paru en éprouver le moindre remords et continuait à l’occasion d’être cruel envers les animaux.

« Car, se disait-il avec logique, s’il n’a pas de peine en lui-même, il n’est pas puni, et pourtant c’est le plus méchant. »

Tourmenté de ce doute, il prit un jour le parti de s’en ouvrir à sa mère.

« Aimes-tu ce garçon ? lui demanda-t-elle.

— Oh ! non, au contraire. J’ai presque de la répulsion pour lui.

— Et les autres, l’aiment-ils ?

— Pas davantage ; mais ils le craignent, et à cause de cela beaucoup lui obéissent et font comme lui.

Tant pis pour eux ; ils portent en ceci la peine de leur lâcheté ; mais parce qu’on fait ce qu’il veut, est-il heureux pour cela ?

— Dame, je ne sais pas, dit Édouard en rêvant. D’un côté, c’est agréable… »

Tous les enfants rêvent de commander, parce que dans certaines éducations on les soumet peut-être trop à l’obéissance. La maman reprit :

« Et si l’on n’avait pas peur d’en recevoir du mal de ce méchant, on ne ferait rien pour lui, n’est-ce pas ?

— Oh ! bien sûr.

— Et pareil avantage te semble un bonheur ?

— Oh ! non.

— Tu vois donc bien qu’il n’est pas heureux, même dans l’avantage qu’il possède et qui tient sans doute à une certaine audace qu’il y a en lui, et qui serait après tout une qualité susceptible d’être mieux employée. Tu reconnais qu’il vaut bien mieux être aimé que d’être craint. Maintenant, à supposer que le mal qu’il fait ne le tourmente pas du tout dans son cœur, ce que nous ne pouvons affirmer, si cela était, c’est que le malheureux n’aurait pas de conscience. Il serait exempt par là, en effet, des douleurs que tu as souffertes. Eh bien ! crois-tu que ce soit là un bonheur ?

— Non, répondit Édouard avec un frémissement qui était une dénégation bien plus énergique encore.

— Bien. Pourquoi cela ? Tu as des jambes et elles t’ont servi souvent à te jeter par terre. Est-ce un mal que d’avoir des jambes ?

— Non certainement, c’est un bien, dit Édouard avec une parfaite conviction.

— Tu as un cerveau, et il te sert quelquefois à faire des sottises ou encore des rêves pénibles. Est-ce fâcheux d’avoir un cerveau ?

— Certainement non, répondit l’enfant.