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mais à présent va chercher ton maître, va ! »

Et il lui fit signe de la main de s’en aller.

Le chien parut attristé. Il s’assit gravement sur son derrière, attacha sur Édouard un regard mélancolique et ne bougea pas.

Édouard reprit sa marche ; mais bientôt retournant la tête, il vit le chien qui le suivait encore et qui s’arrêta en même temps que lui. Cela le toucha ; mais il ne se sentait pas autorisé à conduire cet animal à la maison ; il essaya donc, une fois encore, de le renvoyer. Mais alors le pauvre chien se courba par terre et regarda Édouard en poussant un hurlement doux et plaintif, qui semblait dire :

« Que veux-tu que je devienne, si tu m’abandonnes ? Tu le vois, je suis égaré, perdu ; j’ai faim et froid ; pas d’autre lit que la boue. Et de plus, exposé à tous les dangers de la méchanceté publique. Ne Sais-tu pas ce qui peut arriver à de pauvres chiens comme moi ? »

Cela saisit d’émotion le cœur d’Édouard, et il réfléchissait, indécis, quand un gamin qui passait, en voyant ce chien crotté, malheureux, trouva bon d’ajouter à sa détresse et lui lança un bâton qui alla en tournoyant frapper rudement la pauvre bête.

C’était un de ces pauvres enfants sans doute qui, élevés par des personnes brutales, n’ont jamais été amenés à réfléchir sur leurs actes et ont entendu rarement des paroles de justice et de bonté.

« Méchant ! » lui cria Édouard, oubliant que lui-même, bien mieux élevé pourtant, avait été une fois plus méchant encore.

Et il s’élança vers le chien en l’appelant d’une voix douce. Le gamin fit la nique à Édouard et passa. Mais le chien, redevenu défiant, fuyait maintenant même Édouard ; seulement, comme il ne courait que sur trois pattes, levant en l’air la quatrième qui avait été atteinte par le bâton, cela rendait sa fuite peu agile, et bientôt, un peu rassuré par la voix affectueuse d’Édouard, il se laissa approcher, non sans un reste de crainte, car il se courba devant le petit garçon d’un air doux et suppliant, en tremblant de tous ses membres.

Maintenant Édouard était résolu à ne point abandonner cette pauvre bête, et voyant sa patte déjà enflée, il le prit dans ses bras et le porta, non sans fatigue, jusqu’à la maison où, grâce à cet expédient, ils arrivèrent également crottés.

« Eh ! bon Dieu ! qué que c’est que vous nous apportez là ? » s’écria Mariette qui ouvrait la porte, en voyant ce groupe s’introduire dans le corridor.

La maman traversait en ce moment, et elle allait faire la même question, quand elle rencontra le regard ému et suppliant d’Édouard ; et comprenant quel sentiment avait porté son fils à prendre soin du pauvre animal, elle se tut et le laissa entrer avec son chien dans la salle à manger, sans en demander davantage.

Édouard posa le chien sur le tapis du foyer, et là, devant Adrienne accourue qui le pressait de questions et sa maman silencieuse, mais dont le regard était si doux, il raconta sa rencontre et les malheurs de son protégé. Le chien, tout boueux et tout grelotant, comme s’il eût compris pendant ce récit qu’il était question de lui, cessait de temps en temps de lécher sa patte meurtrie pour lever la tête et regarder tout le monde d’un air touchant qui disait : — Il a raison ; vous voyez combien je suis malheureux.

« Nous allons le guérir, dit la maman ; mais ensuite il faudra tâcher de le placer quelque part, car il nous serait difficile de le garder. Un chien à la ville cela coûte beaucoup, et ne serait-ce que l’impôt…

— J’ai 10 francs dans ma bourse ! s’écria Édouard.