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bout d’un fil, et, fourrant tout au travers ses pattes et ses crocs, en un instant n’en fit qu’un lambeau.

Jamais forfait détestable ne souleva un plus formidable chœur de cris de fureur et d’indignation. La colère a soif de vengeance. D’un même mouvement, la plupart des écoliers se saisirent des pierres qui se trouvaient autour d’eux et les lancèrent contre le chien qu’ils atteignirent, car la pauvre bête ne s’attendait pas à cette agression. Poussant des hurlements douloureux, il prit la fuite ; mais toute la bande, Édouard comme les autres, armés de nouveaux projectiles, courut après lui, et bientôt, sous une grosse pierre lancée par le plus grand, le jeune chien s’abattit en poussant un hurlement lamentable,

Édouard sentit quelque chose lui serrer la gorge, et une impression douloureuse à l’estomac, et pourtant, comme les autres, il continua de courir, et comme les autres il lâcha sa pierre, et cette pierre, justement, alla frapper à la tête la pauvre bête terrassée, qui eut un mouvement convulsif accompagné d’un faible gémissement. Ce gémissement, Édouard le sentit pénétrer en lui comme si c’eût été une lame aiguë qui lui passait du cerveau dans la gorge, puis au cœur. Entrainé par sa course, il était arrivé tout près du chien. La malheureuse bête était là gisante dans une flaque de sang, le ventre écrasé, la tête fendue, et tout ce corps, pantelant de souffrance, était parcouru de temps à autre par les convulsions de la mort.

« 11 faut l’achever ! » s’écria d’une voix cruelle et triomphante un des écoliers, celui qui avait jeté la grosse pierre et qui en tout temps distribuait le plus volontiers autour de lui des chiquenaudes ou des coups de poing.

Cette parole fit frémir Édouard.

« Non ! non ! dit-il, non ! »

Et deux ou trois autres avec lui. Mais un autre reprit :

« Il n’en peut pas revenir. Mieux vaut pour lui que ça finisse tout de suite. »

En même temps il ramassa une nouvelle pierre ; la plupart en firent autant.

En voyant ses bourreaux arriver sur lui, le pauvre animal fit un dernier effort tout instinctif pour leur échapper : sa tête ensanglantée s’agita, une de ses pattes se tendit ; mais il ne put que pousser un dernier gémissement. Son œil désespéré, qui semblait en appeler à des êtres plus humains, se fixa un instant sur Édouard, puis se convulsa sous la nouvelle grêle de pierres qui l’assaillit. Peu de temps après, l’œil était devenu vitreux. La mort avait terminé cette agonie.

Édouard suivit ses camarades. Il avait la tête étourdie, les jambes tremblantes et ne disait rien. S’il avait été capable d’observer, il aurait vu que les autres étaient à peu près de même, excepté le garçon brutal, que nous avons vu le plus acharné au meurtre du pauvre chien, et qui, riant d’un rire affecté toutefois, disait :

« Ah ! ah ! nous la lui avons fait payer belle ! »

Puis un autre qui voulait se mettre à la hauteur de cet esprit fort, mais y parvenait mal.

À ces exceptions près, la petite bande, partie alerte et rieuse, revenait morne, la tête basse, les mains dans les poches, et tous ceux qui connaissent un peu les enfants auraient vu, rien qu’en les regardant passer, que ces garçons-là venaient de mal faire. Un à un, ils se détachèrent du groupe sans se serrer la main et sans se dire bonsoir, et bientôt Édouard se trouva seul sur le chemin encore assez long qu’il avait à faire pour rentrer chez lui.

Seul, avec le souvenir de l’action qu’il