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— Pourtant, objecta Édouard, il y en a beaucoup alors qui diront : Ce n’est pas la peine d’être bon ; et même je l’ai entendu dire.

— Soit. Leur punition sera de ne pas l’être. Car c’est un malheur d’être réduit à la vie abaissée de l’animal, de l’égoïste. Ne comprends-tu pas que le principal bonheur de l’homme est de jouir d’une vie plus large et plus élevée ? Tiens, au concert, l’autre jour, tu te souviens combien ta sœur et toi avez admiré ce pianiste qui jouait de si belles choses. Que disiez-vous en sortant ?

— Nous disions : comme il est heureux ! Oui, et j’aurais bien voulu lui ressembler.

— Eh bien ! mon enfant, dit la maman, en embrassant Édouard, la bonté est la plus grande, la plus belle et la première des puissances. Crois-le et tâche d’être bon.

— Mais, reprit-elle un instant après, si la pratique du bien n’emporte pas, du moins le plus souvent, de récompenses immédiates et palpables, ce n’est pas à dire qu’il n’y en ait pas. Et d’abord, rappelle-toi l’état de ton cœur en revenant à la maison, après avoir soulagé cette pauvre enfant.

— Oh ! oui, j’étais tout réjoui intérieurement, et malgré ma fatigue je me sentais léger.

— Et depuis, toutes les fois que tu y as pensé ?

— J’ai toujours éprouvé un grand plaisir.

— C’est déjà beaucoup, tu le vois, pour un acte si simple. Mais il y a encore autre chose : tu as aussi laissé dans le cœur de cette enfant un bon sentiment, et, si ce n’est pas à toi qu’elle le rend, ce sera à d’autres. Quelquefois nos bonnes actions nous procurent le plus grand des biens : un ami. Ainsi n’y a-t-il point d’exemple d’un être bon et bienfaisant qui ne soit aimé. Mais, quoi qu’il arrive, et dussions-nous ne jamais revoir ceux à qui nous avons pu être utiles, un bienfait porte toujours ses fruits quelque part. C’est un germe jeté en terre, qui produit et fructifie. Or tu comprends bien que nous sommes tous intéressés à semer de bons germes et non de mauvais, c’est-à-dire à rendre la société humaine douce, fraternelle, heureuse, au lieu d’y répandre le trouble, la haine, le malheur. »

Édouard acquiesça de la tête ; mais à la manière des enfants à qui l’on vient de dire coup sur coup trois ou quatre phrases sérieuses.

La maman savait bien que pour ces petits cerveaux ennemis de l’abstraction il faut des choses qui parlent aux yeux ; aussi alla-t-elle chercher deux objets qu’elle posa sur la table, près d’Édouard. C’étaient une coupe et un flacon de curaçao, liqueur d’oranges qu’Édouard aimait beaucoup. Et tandis que le petit garçon, alléché, regardait en souriant, ne sachant trop ce que cela voulait dire, la maman laissa tomber dans la coupe pleine d’eau une goutte de liqueur.

« Si ce n’est qu’une goutte ! » dit Édouard en voyant qu’elle s’arrêtait.

Mais la maman en fit successivement tomber d’autres, tant enfin que cela devint un breuvage très-bon, comme put s’en convaincre le petit friand, qui l’avala tout d’un trait dès que sa maman l’eut approché de ses lèvres.

« Et si, au lieu de curaçao, j’avais mis du fiel ou du vinaigre ? demanda-t-elle.

— Parbleu ! ça aurait été fort mauvais.

— Tu vois quel avantage nous avons à laisser tomber de bonnes gouttes dans le vase où nous buvons tous ; car j’ai voulu par cette coupe te représenter la vie. Si au lieu de gouttes douces et parfumées, c’est-à-dire de bonnes actions qui rendent la la vie agréable, heureuse, nous en jetons