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« C’est que vous n’y êtes pas habitué.

— Oh ! c’est égal ; je le porterais très-bien. »

Ce fut en disant cela qu’Édouard conçut la bonne pensée de soulager cette pauvre enfant de son fardeau en le portant lui-même. La pluie ne tombait plus maintenant à flots : elle était devenue fine et menaçait de durer longtemps.

« Il faut que je parte, » dit la petite. Et avec un grand soupir elle se pencha pour reprendre le panier.

« C’est moi qui vais le porter, dit résolûment Édouard, Est-ce encore bien loin ?

— Oh ! non, non ! ça vous fatiguerait trop. Non, laissez… Oui, c’est encore loin.

— Raison de plus, reprit Édouard. »

Et, malgré les instances de la petite fille tout émue et reconnaissante, il enleva le panier et se mit à le porter dans la rue.

Elle le suivit, et, comme elle restait chargée du parapluie, elle en couvrit la tête d’Édouard. Ils marchèrent ainsi quelque temps. Édouard trouvait le panier bien lourd. Lui qui, en effet, n’était pas habitué à porter des fardeaux, à qui ses bons parents ne demandaient rien que de grandir moralement et physiquement et de s’instruire, ce qui est la vraie tâche des enfants, il se sentait écrasé sous ce fax ; mais en même temps il pensait que la pauvre fillette, moins grande et moins forte que lui, l’eût été bien davantage, et il était content de l’empêcher de souffrir.

Tout à coup Édouard se vit croisé sur le trottoir par un autre garçon qu’il connaissait, Car C’était aussi un externe du collége. Et ce garçon laissa échapper une exclamation en voyant Édouard ainsi chargé, et son air fut si moqueur qu’Édouard en rougit jusqu’aux oreilles.

Il avait pressé le pas, afin d’éviter tout entretien avec son camarade ; mais à pré sent, le panier lui paraissait plus lourd que jamais ; il souffrait d’être regardé. Il avait honte.

Honte de quoi, s’il vous plaît ? De porter un panier ? — Il n’y a point de honte à cela.

De faire une bonne action, en épargnant une fatigue à un être faible ? — Cela ne peut être qu’honorable. — Et puis, de porter ce panier, pourquoi cela eût-il été plus ridicule pour Édouard que pour la petite fille ? — Ah ! j’y suis : c’étaient les habits d’Édouard, sa veste de bonne coupe et de drap fin, son col, ses manchettes et son Chapeau qui se trouvaient formalisés de l’aventure ! C’était à eux d’en rougir alors, à eux seuls ; et pourtant Édouard souffrait de cette sotte et mauvaise honte, au point que sa fatigue en fut augmentée et qu’il lui fallut entrer sous une autre porte, pour s’y reposer un moment.

« Oh ! que je suis fâchée, dit la fillette, en le voyant couvert de rougeur et tout échauffé, que je suis fâchée de vous donner tant de peine ! Maintenant, c’est bien assez. Nous ne sommes plus qu’à cinq minutes de la maison. Vous ne reprendrez plus ce panier. »

Et elle mit la main sur l’anse, avec un air d’autorité ; puis, regardant Édouard, ses yeux qui, peu de temps auparavant, versaient tant de larmes, brillèrent d’un grand beau sourire, et elle lui dit :

« Oh ! que vous êtes bon ! »

Édouard se sentit au cœur une nouvelle force. Bon gré mal gré, il reprit le panier, et cette fois il n’avait plus honte. Je crois même même qu’il était fier. Il alla ainsi jusqu’à la maison où la petite blanchisseuse devait reporter le linge, et ne la laissa que sur le palier, où elle le remercia une dernière fois avec effusion.

Lucie B.

La suite prochainement.