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suite Édouard regarda la rue. L’eau y coulait sans plus de façon que si c’eût été la rivière ; il n’y avait qu’à patienter. Édouard alors reporta son attention sur sa petite compagne. Elle avait posé son panier par terre, et, tandis que l’eau dégouttait de ses vêtements, de grosses gouttes qui, celles-là, ne venaient pas des nuages, roulaient aussi sur ses joues.

« Voilà bien les petites filles, se dit Édouard, ça pleure pour un rien. »

M. Édouard oubliait en ce moment qu’un garçon de sa connaissance intime avait pleuré la veille, pour s’être pris le doigt dans une porte. Mais si l’on tenait compte de tant de détails, on ne pourrait jamais formuler un aphorisme.

Cependant, à voir cette pauvre enfant continuer de pleurer discrètement, silencieusement, et grelotter dans sa petite robe mouillée, Édouard se sentit ému de compassion. Il lui demanda :

« Pourquoi pleurez-vous ? »

La poitrine de l’enfant se souleva plus douloureusement encore à cette question, et elle répondit :

« C’est que je serai grondée.

— Pourquoi ça ? Qu’avez-vous fait ?

— Vous voyez bien que mon panier est mouillé. Il y a en dessus des cols et des bonnets tuyautés, ça sera tout abîmé : la pratique ne voudra pas les prendre, et ma patronne dira que c’est de ma faute,

— Allons donc ! est-ce que c’est vous qui avez fait tomber la pluie ?

— Non ; mais c’est égal. J’ai pourtant bien mis dessus mon tablier.

— Elle est donc par trop injuste, cette femme-là ! Et votre mère, est-ce qu’elle ne vous défend pas ?

— Qu’est-ce qu’elle peut faire ? Il faut bien gagner sa vie. Elle me dit toujours de prendre patience jusqu’à ce que je sache travailler.

— Hum ! » fit Édouard qui n’aimait pas l’injustice.

Il regarda encore dans la rue. La pluie tombait toujours aussi fort. Ça devenait ennuyeux. Ne sachant que faire et poussé par cette habitude qu’ont les enfants de toucher à tout, il saisit l’anse du panier de linge.

« Dieu ! que c’est lourd ! Et comment pouvez-vous porter ça, vous si petite ? »

Les larmes de l’enfant recommencèrent.

« Oh ! oui, allez, que c’est lourd ! J’en ai mal là. »

Elle mettait la main sur sa poitrine.

Il sembla à Édouard qu’il éprouvait aussi la même douleur, et une chaleur généreuse lui monta au visage.

« Oh ! mais c’est très-vilain, ça, dit-il. Si j’étais grand… »

Car il semble aux enfants que lorsqu’ils seront grands ils auront la puissance de tout accomplir, et, pour le moment, Édouard ne projetait rien de moins que d’empêcher toute injustice dans le monde et de forcer tous les méchants à la justice et à la bonté.

Ce n’est pas pour rire de cela, au moins. Oh non ! Quand un enfant a ces choses dans le cœur, il est grand déjà, grand comme beaucoup d’hommes ne savent pas l’être, et, que sa volonté soit impuissante et naïve, il n’importe ; elle est respectable profondément. Qu’il sache seulement la garder, cette volonté, et plus tard, s’il ne peut, assurément, changer le monde à lui seul, il se joindra du moins à ceux qui travaillent à le rendre meilleur ; et il fera du bien autour de lui.

« C’est tout au plus si je pourrais le porter moi-même, » reprit Édouard en soulevant de nouveau le panier et en jetant un Coup d’œil de supériorité sur sa petite compagne qu’il dépassait de la tête.

Il fit quelques pas sous le portail et remit le panier par terre, un peu essoufflé, ce que voyant la petite fille, elle dit :