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LA JUSTICE DES CHOSES

UNE BONNE ACTION D’ÉDOUARD

Peut-être, en effet, c’étaient les bons baisers de sa mère et le dévouement de sa sœur qui avaient adouci le caractère d’Édouard, car pendant les jours qui suivirent il ne taquina plus du tout et se montra un bon et aimable enfant.

Un soir qu’il sortait du collége, par un temps très-sombre, tout à coup le nuage creva et la pluie tomba par torrents. On était au mois de mars, où les giboulées s’en donnent à cœur joie, semant pluie, grêle ou verglas sur les pauvres bourgeons nouveau-nés, qui ne demandent qu’à s’épanouir, et qu’elles obligent de se recroqueviller, grelottants, sous leurs écailles.

Édouard avait un petit parapluie d’alpaga anglais que sa mère lui avait donné, et comme il n’avait pas eu encore occasion de l’ouvrir, sinon par un brouillard imperceptible pour tous ceux qui n’étaient pas possesseurs de ce petit parapluie, il fut bien content de l’averse. Il ouvrit donc largement son parapluie, aussi largement que le petit parapluie voulut s’ouvrir, et, marchant là-dessous, il était heureux autant qu’on peut l’être, plus même qu’on ne peut l’être quand la pluie danse autour de vous en grosses cloches, qui rejaillissent sur vos souliers et s’éparpillent petites afin de se faufiler jusque dans vos bas. Édouard s’amusait à suivre des yeux leurs bonds, admirant leur jolie forme et leur transparence, cherchant, mais en vain, à saisir la transformation subite de la goutte en voûte aqueuse, et surtout l’évaporation de celle-ci dans l’air ; et, à les voir ainsi danser et s’évanouir, il pensait à ce qu’il avait lu des sylphes, ces jolies créations de l’imagination des peuples enfants.

Mais bientôt un objet moins aérien vint frapper sa vue. C’était, devant lui, sur le trottoir, deux petites jambes grêles, dont le haut se perdait sous un bord de jupe fané, dont le bas s’enfonçait dans de vieilles bottines affectées d’une déviation de reins qui inspirait de graves inquiétudes sur l’état probable de la semelle, surtout par ce temps diluvien. La marche de ces jambes était lourde et pénible, quoique hâtée ; on voyait de chaque côté de la jupe ressortir les angles d’un de ces grands paniers d’osier dont se servent les blanchisseuses, et l’on entendait le souffle d’une poitrine haletante, qui parfois devenait presque un gémissement.

Édouard, en levant son parapluie, vit de dos le reste de la personne. C’était une petite fille, tout juste assez convenablement vêtue pour ne pas sembler une mendiante, qui portait un panier beaucoup plus gros qu’elle et presque aussi grand, sous le poids duquel elle paraissait écrasée. Elle n’avait point de parapluie pour se garantir, et la garniture de son bonnet de mousseline tout trempé, ruisselait avec la pluie sur son cou.

À ce moment, une bourrasque parcourut la rue : le parapluie d’Édouard fut retourné sens dessus dessous, et la petite blanchisseuse faillit être renversée ; la pluie devint une sorte de fleuve coulant à pleins flots, au travers duquel on voyait à peine. Une porte cochère se trouvait là. Édouard vit la petite blanchisseuse se jeter dans ce refuge et l’y suivit.

Tout d’abord il n’eut qu’une pensée, qu’un soin : ce fut son cher parapluie. Heureusement il n’était pas cassé ! En-