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J. DE COULOMB

« Oui, répéta Vincenou avec force, je suis un voleur !… J’ai trouvé l’émeraude du pharaon et je l’ai gardée pour la vendre !… Ils étaient si malheureux aux Borderies !… Vincenille était tombée d’une échelle… Il avait fallu payer le docteur… Le cousin Chambareau réclamait son argent… l’huissier était venu… Alors, j’ai perdu la tête !… J’ai songé à ce marchand du bazar qui vend des pierreries comme d’autres vendent des haricots… Mais elle est encore là, l’émeraude… La voici ; elle me brûlait comme du fer rouge. Je suis bien content de m’en débarrasser !… »

Il avait saisi, entre deux doigts, le cordon qui retenait le sachet à son cou ; d’un geste brusque il le rompit et tendit au baron la pierre dans sa gaîne d’étoffe.

Le vieux savant la prit, mais il ne songea pas à la regarder tout de suite.

Son cœur de célibataire, un peu fermé jusqu’ici aux émotions extérieures, s’était rempli soudain d’une grande pitié pour cet enfant qui avait succombé à la tentation du vol pour sauver les siens ; il se reprochait de ne s’être pas assez occupé de la petite âme qui lui était confiée.

Maintenant que ses yeux étaient ouverts à autre chose qu’à la gloire de Thoutmès, il s’apercevait que le garçonnet était très pâle, très amaigri…

Ne l’avait-il pas fait trop travailler depuis quelques jours ?… N’avait-il pas abusé de ses forces ?

Cet enfant était extraordinairement bien doué, mais où le mèneraient les connaissances un peu spéciales qu’il acquérait en ce moment ?

À rien !… Le jour où son protecteur viendrait à lui manquer, il ne serait plus qu’un déclassé sans titre d’aucune sorte…

Ne serait-il pas alors en droit de murmurer contre celui qui l’aurait arraché à son humble vie de paysan sans rien lui offrir en échange.

Il y avait là une œuvre qui s’imposait et dont M. de Ribagnac vit aussitôt se dessiner les grandes lignes…

Doucement, il reprit :

« Péché avoué est à moitié pardonné ! Tu as trop souffert de ta faute pour y retomber jamais !… Le reste de ta vie, tu te souviendras qu’en ce monde toute chose appartient à quelqu’un, et qu’il n’est pas de motif — si louable soit-il — qui puisse excuser un acte condamnable !… À présent, laisse-moi t’adresser un reproche : pourquoi ne m’as-tu pas parlé de la détresse de tes parents ?

— Je n’ai pas osé, monsieur le baron. Vous aviez déjà été si bon pour nous !

— Si je l’avais connue, je t’aurais épargné bien des heures d’angoisses… Pour commencer, à la prochaine station télégraphique, tu enverras la dépêche suivante au créancier de ton père, le cousin…

— Chambareau !

— Le cousin Chambareau ! Suspendez poursuites. Je payerai tout. Pierre Vincent.

— Mais avec quoi payerai-je, monsieur le baron, je n’ai rien ?…

— Avec l’argent que je te donnerai, nigaud !

— Oh ! monsieur le baron, que vous êtes bon !… Je ne le mérite pas, cependant ! »

Il avait pris la main du vieux garçon et, malgré celui-ci, il y déposa un baiser furtif.

« Quant à toi, poursuivit M. de Ribagnac, plus ému qu’il ne voulait le paraître, dès que j’aurai terminé mes affaires avec le Service des Antiquités, je te conduirai à Paris ! »

Vincenou ouvrit de grands yeux… À Paris ? Pour quoi faire ?

« J’ai reconnu, continua le baron, que tu étais un enfant intelligent et travailleur, et qu’il serait coupable de ma part de laisser la lumière sous le boisseau… Tu entreras donc au collège. C’est moi qui me chargerai de tes frais d’études ! »

Cette fois, les larmes de Vincenou recommencèrent de couler… Aller au collège… Étudier le latin, le grec… les mathématiques surtout… Il avait bien souvent fait ce rêve sans oser l’avouer à personne.

« Monsieur le baron, murmura-t-il, comment pourrai-je jamais reconnaître vos bontés ?

— Tout simplement en me faisant honneur et en restant toujours digne « du vieux » !

— Je vous le promets, monsieur le baron,