Page:Magasin d'Éducation et de Récréation, Tome XIV, 1901.djvu/88

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
87
L’ÉMERAUDE DU PHARAON

Du coup, Vincenou en oublia les Borderies, Vincenille et le cousin Chambareau !

Les ouvriers apportaient des débris de vases et de statuettes, des fragments de bijoux lourdement gravés, recueillis dans la fosse profonde.

L’un d’eux jeta sur le sol une plaque de métal couverte de caractères hiéroglyphiques.

« Voilà qui nous donnera la clef de l’énigme ! s’écria M. de Ribagnac… Dussé-je y perdre les yeux, je passerai la nuit à déchiffrer cette inscription… En attendant, Vincenou, tu vas prendre le signalement des effets et des bijoux… Fais attention que la pierre qui devait orner le centre du diadème a malheureusement disparu… Il faut le constater !… »

Le petit garçon écrivit docilement ce qui lui était dicté ; lorsqu’il eut fini, le crépuscule tombait… il n’y avait plus de rose que le sommet des collines lointaines.

« Je ne retournerai pas ce soir à la dahabieh, déclara le baron. La trouvaille d’aujourd’hui est trop importante pour que je la laisse à la seule garde du réïs, mais je ne t’empêche pas de regagner ton lit, si tu t’y trouves mieux que sous la tente ! »

Vincenou ne se fit pas répéter deux fois l’invitation : il ne se souciait pas de dormir à côté de la momie du pharaon !… Sa pèlerine était posée à terre : il la ramassa et la jeta sur ses épaules, car l’air fraîchissait et il avait eu très chaud en écrivant.

Puis, escorté de deux matelots, il s’éloigna du lieu des fouilles pour rallier le bateau amarré aux bords du Nil.

Sa cabine était toute petite, mais elle renfermait le nécessaire ; Vincenou posa sur la table la lampe qu’il venait d’allumer, et, avant de se coucher, il se mit à relire la lettre de son père.

Comment faire pour le tirer de cette mauvaise passe ?…

S’adresser à M. de Ribagnac ?… Il avait déjà été si généreux que c’eût été abuser de lui !…

Prier le cousin Chambareau d’attendre, en lui promettant l’argent que Vincenou gagnerait l’année suivante ?… Ce n’était pas possible !… Si le cousin Chambareau réclamait ses huit cents francs avec une telle insistance, c’est que probablement il en avait besoin tout de suite !

Le petit garçon était si absorbé par ses douloureuses préoccupations qu’il n’avait pas songé à enlever sa pèlerine.

Une bouffée de chaleur la lui rappela !… Il la dégrafa d’un geste brusque et la lança sur le lit.

Le bruit sec d’un objet dur qui tombe se fit entendre au même moment.

« Je parie que c’est un de mes boutons ! » pensa Vincenou.

Il prit la lampe pour le chercher et demeura bouche bée devant ce qu’il aperçut.

Ce n’était pas un bouton de bois noir qui était là derrière un pied de chaise, mais bien une énorme émeraude qui brillait comme un œil de chat !

Vincenou n’en avait pas vu de si belles au bazar du Caire : elle avait une limpidité merveilleuse ; on eût dit qu’elle vous regardait !

Il l’avait posée sur la paume de sa main gauche…

D’où venait-elle ?…

L’enfant songea tout de suite au bandeau d’or du Pharaon !

La pierre était évidemment tombée de son alvéole, lorsqu’on avait apporté la précieuse momie sous la tente ; elle avait glissé dans le capuchon de la pèlerine, restée sur le sol, faute de crochet pour la suspendre, et, sans s’en douter, Vincenou l’avait emportée avec lui !

M. de Ribagnac serait bien étonné, le lendemain matin, d’apprendre la singulière aventure !…

Combien cette émeraude pouvait-elle valoir ?

Elle était beaucoup plus grosse que celles qu’on estimait quatre cents francs… Le double peut-être ?…

Huit cents francs alors ?

Juste la somme dont son pauvre père avait un si pressant besoin !

L’image du revendeur au nez crochu, qui faisait si habilement ruisseler les pierreries entre ses doigts crasseux, traversa le souvenir du petit garçon.

Achèterait-il cette émeraude si on la lui offrait ? Dans la petite âme de Vincenou, un travail ténébreux se préparait…