Page:Magasin d'Éducation et de Récréation, Tome XIV, 1901.djvu/52

Cette page a été validée par deux contributeurs.
51
POUR L’HONNEUR

avec une caresse sur ses cheveux noirs embroussaillés, devinant à son visage anxieux la terreur de voir les portes de l’hôpital se fermer devant lui :

« On te gardera ici jusqu’à ce qu’on t’ait trouvé une place, mon enfant, sois tranquille », prononça-t-elle de sa voix persuasive, une voix qu’on devinait accoutumée à bercer les misères humaines.

Cette question réglée, après l’échange de quelques politesses, Pierre n’avait qu’à prendre congé.

Cependant il n’en fit rien.

L’idée lui était venue d’emmener Greg avec lui à Dracy ; Greg sans ses oies, son chapeau et son manteau, par exemple.

À aucun prix il ne referait la traversée de la ville en de telles conditions. Ah ! fichtre non ! jurait-il en lui-même. Les éclats de rire soulevés par leur passage sonnaient encore à ses oreilles.

Mais il avait fait causer l’orphelin durant le trajet de Dôle à Beaune ; et ensuite, avant de se coucher, à l’auberge où ils étaient descendus tous les deux.

Et, de ses réponses pleines de raison, de sa volonté arrêtée de n’être à charge à personne, Pierre avait conclu que petit Greg ferait un serviteur modèle.

Il n’hésitait plus à émettre sa proposition que par crainte de la voir déclinée. C’eût été naturel, somme toute. Qu’était-il pour Mlle Dortan ? un inconnu.

Les explications données par Catherine à la supérieure ajoutaient encore à sa perplexité.

Les parents de Greg avaient dû occuper un rang social plus élevé que celui où ils songeaient à établir leur fils.

En racontant que Mme Chaverny avait été son amie la plus aimée, la bonne fille insistait sur ce point, qu’il serait important de caser Greg quelque part où l’on prît intérêt à son éducation. Sa mère tenait si fort à ce qu’il fût instruit. Elles avaient bien des fois traité ce sujet ensemble, durant les deux années que la jeune femme avait survécu à son mari, mort le premier, presque aussitôt leur arrivée dans le Jura.

La religieuse hochait la tête. Certes elle avait le désir de venir en aide à l’orphelin, mais dans les conditions où le désirait Catherine, cela devenait malaisé.

Greg expliqua :

« J’ai fait ma première communion. Je n’aurai plus à aller au catéchisme.

— Mais c’est l’école qu’il te serait bon de suivre.

— Il y a des cours le soir », intervint la Mère.

Tout en parlant, les deux femmes regardaient Pierre, comme si, à l’expression de sa physionomie, elles devinaient sa pensée et eussent voulu l’encourager à la dire.

Au vrai, il y avait un peu de cela.

Le jeune homme dut s’en rendre compte, car il se décida enfin à prononcer :

« Voici ce que je vous propose, mesdames. Si vous jugez pouvoir me confier ce bonhomme, je l’emmènerai avec moi. Je n’ai pas de domicile particulier, il est vrai ; je vais habiter chez un oncle et une tante. Mais encore que ma tante soit d’un caractère un peu… un peu difficile, je vous promets que l’enfant sera bien. Quelle situation il aura… je ne sais trop. Il devra rendre quelques-uns des services que rendrait un domestique, évidemment. Toutefois, en dehors des heures de classe — car je l’enverrai à l’école régulièrement au moins l’année prochaine — il sera souvent avec moi. Ce dont je compte surtout le charger, c’est de veiller sur mon oncle, si impotent, qu’il a besoin d’aide pour les moindres choses. Ce ne sera pas une compagnie bien gaie pour un enfant, mais…

— Oh ! monsieur Marcenay, je resterai avec votre oncle tant qu’on voudra ; j’aime beaucoup les vieux, interrompit Greg. Et puis, s’il est malade…

— Paralysé, mon petit, et, la plupart du temps, incapable de se faire comprendre. En retour des soins qu’il donnera à l’oncle Charlot, poursuivit Pierre, s’adressant aux deux femmes, outre cinq francs d’argent de poche par mois, je me chargerai de l’entretien de Greg. Voyez, mesdames, si ma proposition vous agrée. »