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POUR L’HONNEUR

que me donnait ma santé pour aller tenir compagnie à mon père durant une absence de mon frère Alban et de sa femme.

— Le commencement, fit Greg, secouant sa tête brune avec un vieux regain de mélancolie, au souvenir de ce temps-là : il n’est pas gai, le commencement !

« Quelle semaine, celle qui a suivi notre retour de Paris, Catherinette ! »

Greg différa un instant d’entreprendre le récit que lui demandait la vieille fille pour lui offrir son bras, disant :

« Appuyez-vous bien, ma bonne Catherinette ; je suis fort, allez ! »

Elle se redressait, toute fière de marcher au bras de ce gentil cavalier. Et lui souriait, fier aussi de servir de soutien à l’amie de sa maman.

Il reprit :

« M. Pierre voulait à toute force avoir l’air satisfait. J’aurais mieux aimé qu’il pleurât du matin au soir que de lui voir la figure qu’il avait !

« Et je ne savais rien de rien ! si ce n’est ce que m’avait dit en sanglotant l’oncle Charlot :

« — Pas… possible… »

« De ma vie je ne me suis senti si malheureux. Non, non ; pas même après la mort de mon grand-père ; pas même après que j’eus enterré ma mère Norite et que j’étais, seul avec mes oies, en chemin pour l’inconnu…

« La vieille dame s’en allait, pleurant tout bas son argent : aucun ne parlait. On aurait cru qu’il y avait la mort dans la maison à nous voir marcher pareils à des ombres et fermer les portes en grand silence.

« Nous n’apercevions même plus Mlle Gabrielle. Son père les avait fait venir à Chalon, elle et bonne maman.

« La femme de chambre prétendait bien que c’était pour quelques jours ; mais la cuisinière affirmait avoir entendu parler d’un grand voyage…

« Au résumé, on ne savait rien de précis.

« C’est moi, maintenant, qui lissais les cheveux de l’oncle Charlot et fleurissais sa boutonnière. Je ne le quittais pas, ne devant plus retourner à l’école, puisque, à Pâques, j’entrais au collège.

« Un matin, je conduis M. Saujon dans son fauteuil roulant jusqu’aux pelouses, à l’entrée du labyrinthe, où, la veille, j’avais vu des violettes en fleur.

« Je me souviens qu’il faisait un joli temps, un temps gai, Catherinette, un de ces jours où, sans savoir pourquoi, on a envie de rire, malgré soucis et chagrins.

« C’est le soleil du printemps qui vous entre dans la peau, je me figure, et qui s’en va jusqu’au fond, dans le noir du cœur, y porter l’envie de se réjouir.

« Encore un peu, j’aurais chanté.

« Ça me mettait si bien en colère de me sentir presque joyeux qu’il me prenait des tentations de me battre.

« Pour me forcer à être triste, je me tournai vers l’oncle Charlot, qui, lui, gardait sa figure désolée, et je lui dis :

« — Ces violettes embaument ; je vais vous en cueillir un bouquet. »

« Il me faisait presque autant pitié que M. Pierre.

« J’étais accroupi dans l’herbe, à deux pas de lui, quand j’entends grincer la porte du jardin. Je lève un peu la tête pensant que c’était peut-être bien notre chasseur. Il était parti dès l’aube pour aller tirer des bécasses dans les bois ; il ne devait pas revenir déjeuner ; mais, l’ennui le gagnant partout, rien d’étonnant qu’il eût changé d’idée…

« Et qui est-ce que j’aperçois au lieu de M. Pierre ? Mlle Gabrielle qui venait vers nous.

« Elle n’avait pas l’air joyeux, tant s’en faut ! Et la voilà qui dit à l’oncle Charlot en l’embrassant :

« — Mon vieil ami, j’ai pris une grande détermination. Il le fallait… puisque tout le monde, M. Pierre comme les autres, juge que je devais dire oui… Je me suis fiancée hier à mon cousin Marc.

« Il mérite bien qu’on l’aime, le cher garçon, mais… »

« La voilà qui se met à pleurer, la tête sur l’épaule de l’oncle Charlot, auprès de qui elle s’était assise.

« Si j’étais embarrassé de savoir quoi faire, vous vous en doutez, Catherinette !