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LA TOURTERELLE

C’est pour elle qu’il était venu, c’était pour la revoir !

— Et surtout pour l’enlever.

— Laissez-moi intercéder en faveur de ce pauvre garçon.

— Ce pauvre garçon a violé ma demeure. Vous voulez que je lui pardonne ?

— Je le souhaiterais vivement et je vous le demande en grâce.

— Vous voulez que je laisse aller ce coquin ?

— Mon cher seigneur…

— Ma bonne Octavie, dit Norbanus en riant, j’ai sans doute pressenti votre désir : ce que vous demandez, bien qu’un peu hors de l’ordinaire, est accompli. Matoas, avec ma permission, a pris la clef des champs ; il a de bonnes jambes, il doit être loin !

— Vous avez sauvé la vie d’Aldwyna ! »

Tout heureuse, la jeune femme était rentrée dans son appartement. Norbanus, resté seul, souriait, satisfait de lui-même.

À la porte donnant sur l’atrium se montra une tête pâle.

« Comment ! tu n’es pas parti ? s’écria Norbanus stupéfait.

— Je n’ai pas pu… dit Matoas d’une voix brisée… Seigneur, excusez ma faiblesse… non, je ne peux pas ! Je crois avoir trouvé un moyen… La liberté, je n’en veux plus, j’y renonce.

— Que dis-tu ?

— Seigneur, je me donne à vous : inscrivez-moi parmi vos esclaves ! »


VI


« Bien, tout est en règle, approuva Norbanus, après avoir lu l’acte que venait de rédiger le tabellion, — Matoas a signé, j’apposerai mon cachet tout à l’heure. Ce garçon a eu une excellente idée, n’est-ce pas, Octavie ? Vivant dans notre maison, marié à sa fiancée, comme il sera bien plus heureux que dans la brousse sicilienne ! Et moi, ajouta-t-il gaiement, à présent, je suis sûr d’avoir toujours, aux courses des chars, la palme d’Idumée et la couronne aux feuilles d’argent et d’or ! »

Les deux époux étaient assis à côté l’un de l’autre, près d’une fenêtre ouverte sur un jardin merveilleux, aux fleurs éclatantes et embaumées, où s’ébattaient leurs deux enfants, Junius et Marcia.

Marcia était de deux ans plus jeune que son frère, à qui elle ressemblait étonnamment : sa physionomie annonçait seulement un peu plus de douceur et de réflexion.

Clinias était auprès d’eux.

Ils causaient tous trois avec animation.

Apercevant son père à la fenêtre, Junius accourut :

« Père, quelque chose d’extraordinaire ! La tourterelle frappée par Clinias, elle n’était pas morte. Elle nous a suivis à Rome ! Elle est ici !

— Quel conte !

— Clinias l’a vue ce matin.

— Oui, confirma le précepteur, le pauvre oiseau voletait autour de la cage d’Aurea ; il avait des plumes arrachées, je l’ai reconnu, c’est bien lui ! Et, soyez-en sûr, il va revenir ! J’ai posé la cage dans un endroit bien découvert, là, au rond-point des orangers. »

Junius sautait de joie.

« Nous le prendrons ! Nous aurons le couple !

— J’ai préparé ce filet, dit Clinias.

— Chut !… le voilà ! avertit Marcia. Cachons-nous. »

Et chacun essaya de se dissimuler dans une touffe de feuillage.

En effet, une tourterelle toute pareille à Auréa, mais le plumage en mauvais état, la tête meurtrie, venait de se poser sur le bord d’un toit.

« Elle vous a vus, elle ne descendra pas ! » dit Norbanus.

Il se trompait.

Après les avoir bien regardés l’un après l’autre, l’oiseau ouvrit ses ailes ; il tournoya quelques instants au-dessus de la cage de son amie, en jetant de petits cris.

Puis, pointant droit vers Junius, il se posa à quelques pas de lui et demeura tout d’abord immobile, le considérant.

« Par Jupiter, on dirait qu’il demande à être pris ! » observa Clinias.