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XIV

Vers le nord


Où allait ainsi leSaint-Enoch sous l’action d’un moteur d’une puissance prodigieuse attaché à ses flancs, le cap tantôt au nord-est, tantôt au nord-ouest ?

Au milieu de l’obscurité profonde, impossible de rien distinguer. Le capitaine Bourcart et ses officiers cherchaient vainement à reconnaître la direction. L’équipage était au paroxysme de l’épouvante. Il ne restait plus une seule des embarcations dans lesquelles on eût pu se réfugier, les amarres ayant cassé au moment où le navire s’était remis en marche.

Cependant le Saint-Enoch fuyait avec une telle rapidité, que les hommes eussent été renversés par la résistance de l’air. Ils durent s’étendre le long des parois, se coucher au pied des mâts, s’accrocher aux taquets, abandonner la dunette pour ne point être envoyés par-dessus le bord. La plupart des matelots s’affalèrent dans le poste ou sous le gaillard d’avant. Quant à M. Bourcart, au capitaine King, au docteur Filhiol, au second, aux lieutenants, ils s’abritèrent à l’intérieur du carré. Il y aurait eu danger à se tenir sur le pont, car la mâture risquait de venir en bas.

Et puis qu’y aurait-il eu à faire ?… Au milieu de cette nuit noire on ne se voyait pas, on ne s’entendait même pas. L’espace se remplissait de mugissements continus, auxquels s’ajoutaient les sifflements de l’air à travers les agrès, bien qu’il ne passât pas un souffle. Si le vent se fût déchaîné avec cette fureur, il eût dissipé l’intense brouillard, et, à travers les déchirures de nuages, on aurait aperçu quelques étoiles.

« Non…, dit M. Heurtaux, le temps n’a pas cessé d’être calme, et la violence de ces rafales ne provient que de notre vitesse !

— Il faut donc que la force de ce monstre, s’écria le lieutenant Allotte, soit extraordinaire…

— Monstre… monstre ! » répétait M. Bourcart.