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POUR L’HONNEUR

— Peu importe ! après tout. L’essentiel était qu’on le mît en rapport avec M. Aubertin.

— Et, poursuivit Greg, j’ai fait encore autre chose.

— Ah bah !

— Oui… Pendant qu’il cherchait à se rendre compte d’où on lui avait parlé, j’ai couru dans sa chambre et j’ai écrit sur sa table, avec un morceau de charbon : « Pour votre bonheur, hâtez-vous. » Je pensais à l’oncle Charlot, aux transes où je l’ai laissé, à Mlle Gaby qu’on va marier, peut-être bien… Et voilà.

— Tu as des idées comme personne, dit Catherine, riant toujours. Elles auront un résultat que tu n’as pas prévu, j’en parierais. De quelque façon que tournent les choses, M. Marcenay, qui n’aura jamais le fin mot de cette aventure, est capable d’en rester préoccupé des années.

— Ah bien ! j’aurais fait un beau coup ; moi qui m’étais cru habile, soupira Greg. Faut en rabattre. »

Et, hochant la tête, de plus en plus déconfit :

« Mais le pire, c’est que le lendemain, au moment d’aller frapper à la porte de M. Pierre comme si j’arrivais, je n’ai plus osé. Il me semblait qu’il allait lire dans mes yeux que c’était moi celui qui avait parlé la nuit… Je le laisse sortir ; je descends, je règle ma dépense et, sans déjeuner, tant j’avais peur de le voir paraître avant que j’aie fini, je cours à la gare et je prends le train pour Beaune. Que dira l’oncle Charlot lorsqu’il saura que j’ai dépensé son argent et n’ai point fait sa commission ? J’en perds la tête, ma pauvre Catherinette ! Comment me tirer de là ?

— Mon bon petit, je n’en sais rien du tout… rien… rien… Où rejoindre M. Marcenay ?

— Voilà… S’il m’a écouté, il doit être à Paris. Mais aura-t-il cru à un avis reçu de quelqu’un par ce moyen ? C’est ennuyeux qu’il n’y ait point de revenants ! J’avais compté là-dessus, moi ; ça aurait tout expliqué à ses yeux. Prenons jusqu’à demain pour y songer, voulez-vous ? Je suis si las que je n’ai point d’idées. »

Le courrier du soir apporta pour Mlle Dortan une lettre de Pierre, écrite avant de quitter Niort et qui simplifia quelque peu les choses. Il s’informait si Chaverny était à Beaune, priait qu’on l’en prévînt par dépêche à Paris, hôtel du Louvre, et demandait qu’on gardât l’enfant jusqu’à son très prochain passage.

« Tu vas filer par le train de nuit, Greg, commanda Catherine. Tu diras à M. Marcenay que tu étais venu me demander un conseil à propos de ton voyage : c’est tout. Il sera si préoccupé des brouilles de là-bas et de leurs conséquences qu’il ne songera même pas à s’informer quel jour tu es parti. »

Greg obéit, et le lendemain, à son réveil, en place de la dépêche attendue, Pierre vit entrer son petit protégé.

Sans même songer à réfuter les accusations de « la vieille dame », tout de suite Greg parla au nom de l’oncle Charlot.

Pierre écoutait, très sombre.

Que de complications ! lui qui avait déjà tant de tracas par ailleurs. Une partie du voyage il s’était reposé de ses tristesses actuelles par l’évocation du souriant et calme avenir entrevu.

À force de ressasser la lettre de Caroline, il en avait tiré cette conclusion réconfortante que ladite épitre avait dû être élaborée au cours d’une digestion laborieuse tournant au cauchemar.

Aucun fait grave n’y était énoncé ; il s’était inquiété à tort. Il retrouverait Gaby aussi affectueuse, aussi sincère… Sincère ! Elle ne soupçonnait pas à quel point l’avait été son exclamation à propos de « ce maudit argent », le jour de la lessive.

Tout le long du chemin, ces jolis rêves l’avaient bercé.

Quel réveil ! À peine sorti des embarras de cet héritage à répartir équitablement, — tâche ardue ! — il lui faudrait lutter… faire fléchir la volonté d’une famille, l’amener à renoncer pour Gabrielle à un projet d’établissement très sage, très avantageux, sans nul doute.

Qu’aurait-il à offrir en échange ? Une situation médiocre et un nom qu’il n’osait plus prétendre sans tache… N’importe ! il lutte-