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P. PERRAULT

nonce pas le nom de M. Pierre. Je savais où le prendre : cela me suffisait.

« La caissière regarde les clefs et s’aperçoit que celle de M. Marcenay n’est pas à son clou.

« Alors, après avoir pris celle du no 29, elle appelle un garçon, lui tend cette clef et commande en me désignant :

« — Conduisez monsieur à sa chambre et dites par la même occasion à Guillaume qu’on a besoin de lui tout de suite ; il doit être occupé à faire le second : voyez au no 35. »

« À cinq heures du soir ! Mais je vous l’ai dit, Catherinette, tout était sens dessus dessous.

« Je suis le garçon : il me fait prendre l’escalier de service, — je devais lui paraître un voyageur sans conséquence, — un escalier qui monte droit du sous-sol au grenier.

« Ça sentait la cuisine ! on se serait cru à côté du fourneau.

« Parvenu au pied d’une échelle de meunier qui dessert les combles, il frappe au mur et crie :

« — Vous êtes là, Guillaume ?

« — Oui. Qu’est-ce qu’il y a ?

« — On a besoin de vous en bas tout de suite. Ça presse.

« — C’est que M. Marcenay va rentrer… J’ai ordre de lui servir son dîner dans sa chambre. Et elle n’est pas finie !

« — Je la finirai, moi.

« — Bon : je descends alors. »

« Nous traversons deux pièces mal éclairées ; puis le garçon me fait suivre un couloir qui m’amène en face du no 29.

« J’entre : je fais mine d’ouvrir ma valise, tandis que le domestique enlevait la courtepointe du lit et m’apportait de l’eau. Et, dès qu’il est sorti, je viens sur la porte, comme si j’avais quelque chose à demander.

« Il était déjà au no 35. Je vais à mon tour jusqu’au seuil : la première chose qui me frappe, c’est l’odeur de cuisine que j’avais constatée dans l’escalier : bien moins forte, mais encore sensible.

« J’en fais la remarque après avoir prié le garçon de m’allumer du feu. Il me dit :

« — Voilà d’où ça vient. »

« Et il me montra un trou gros comme un pois, au fond d’un placard, en ajoutant :

« — Ce mur donne sur l’escalier. C’est par là que j’ai pu me faire entendre de Guillaume. On doit toujours réparer ça : les voyageurs s’en plaignent… »

« Je réponds :

« — Le fait est que cette odeur est désagréable. »

« Et je retourne chez moi.

« Si j’étais content ! vous vous en doutez, Catherinette ; je venais de découvrir le moyen de renseigner M. Pierre. Il ne me restait plus qu’à attendre l’heure où il me serait permis d’agir.

« Il rentre : je me tiens coi. Tout l’hôtel était éclairé. On allait et venait à tous les étages. Quand donc se coucheraient-ils ?

« Enfin, vers trois heures du matin, ça s’éteint partout. J’entends des voitures rouler sur le pavé de la rue ; les portes se ferment : voilà tout le monde endormi.

« Je sors de ma chambre et je m’en vais sur l’escalier. Je frappe au mur ; j’appelle, en grossissant ma voix, tant que je peux ; et quand M. Marcenay a répondu, je lui dis où et par qui il apprendra tout.

— Qu’a-t-il dû croire ? interrompit la vieille fille, abasourdie de cette invention baroque.

— Je n’en sais rien… Mais, il y a bien des revenants, n’est-pas, Catherinette ?

— Qui t’a conté ça ?

— Ma mère Norite.

— Des bêtises !

— Ah !… vous croyez ?

— J’en suis même certaine. »

Il parut tout désappointé.

« Moi qui m’étais dit qu’il penserait l’avis donné par son oncle Odule, murmura-t-il.

— Mon pauvre Greg ! toi si sensé, si plein de raison, croire à ces sornettes ! faisait la bonne fille en riant.

— Mais si c’est bien vrai qu’il n’y ait point de revenants, — il n’en était convaincu qu’à demi, malgré sa confiance en sa vieille amie, — qu’est-ce que va supposer M. Pierre ? reprit le gamin avec une mine consternée.