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POUR L’HONNEUR

« La vieille dame est partie, jurant qu’on ne la reverrait plus dans cette maison, et qu’elle n’oublierait jamais la grossièreté qu’on venait de lui faire.

« Et, en sortant, elle a lancé ça en manière d’adieux :

« — Vos petits calculs ne s’en trouveront pas bien, je vous en avertis ; je ne suis pas sans influence sur Pierre ; à bon entendeur, salut. »

« Mais voilà Mme Lavaur qui riposte :

« — Si quelqu’un a fait des calculs, c’est vous, madame. Vous ne tarderez pas d’avoir la preuve que nous n’en sommes point à intriguer pour établir nos enfants ! »

« Elles se sont quittées là-dessus.

« Que nous étions fâchés, l’oncle Charlot et moi ! Je me serais battu, d’avoir amené tout ce grabuge ! C’est que ça dérangeait nos plans, cette brouille ! et…

« Faut vous dire que, sitôt seuls, nous voilà à causer.

« C’est-à-dire je parle et l’oncle Charlot me répond des yeux, ou bien par un mot de temps en temps. — De quoi ? de M. Pierre et de Mlle Gaby… Hein, Catherinette, c’est joli, Gaby ; mais pas encore si doux et si joli qu’elle.

« Nous l’aimons tant que nous la voulons toute pour nous. Des fois, je raconte à l’oncle comment ce sera à la maison, quand elle sera venue y demeurer, après que M. Pierre l’aura épousée. Les idées que je me fais de ce temps-là, du temps où c’est elle qui commandera chez nous, je les lui dis.

« Et il est heureux ! heureux ! presque autant que ceux qui peuvent marcher et causer à leur aise. Quels bons moments nous avons passés à faire des projets !

« Aussi, le soir de la brouille, nous aurions pleuré, encore un peu.

« Je finis par dire à l’oncle Charlot :

« — Peut-être que ça ne durera pas. Mme Saujon s’ennuiera tant toute seule, qu’elle se décidera à retourner faire son besigue. »

« Nous attendons deux ou trois jours.

« Elle sortait, mais pour s’en aller rendre des visites à Dracy. En longeant la grille de bonne maman, elle ne détournait même pas la tête.

« Nous avions de l’ennui, Catherinette ! tant et tant, que je ne peux pas le dire assez.

Mlle Gaby était pourtant venue nous voir, pendant une absence de « l’autre », et elle avait promis de revenir. Elle consolait l’oncle Charlot en l’assurant que, sitôt de retour, M. Pierre mettrait ordre à tout ça : mais rien ne nous tranquillisait ; nous avions trop peur qu’on nous la prenne, elle, Mlle Gaby.

« Et vous ne savez pas, Catherinette, « l’autre » m’a fait gronder par M. Pierre.

— Dis « Mme Saujon », c’est plus poli, à cause de M. Marcenay, observa la vieille fille.

— Oh ! si c’est à cause de lui, je veux bien… quand j’y penserai. Oui, elle m’a fait gronder. Quels mensonges a-t-elle inventés ? M. Pierre ne me le dit pas dans sa lettre, mais elle doit m’avoir accusé de vrais crimes pour qu’il se soit montré si sévère.

« Je ne lui ai pas encore répondu, vous allez comprendre pourquoi.

« Après quelques jours, voyant que bonne maman et l’aut…, Mme Saujon, ne se raccommodaient pas, l’oncle Charlot, un matin, m’a fait signe qu’il avait décidé quelque chose. Quoi ?… il s’agissait de le deviner.

« Il tenait à la main une dépêche qu’on venait de lui remettre : M. Pierre lui annonçait son départ et lui donnait l’adresse de son hôtel à Niort.

« Il m’a bien fallu une heure pour saisir ce qu’essayait de me faire entendre M. Saujon. Mais je n’ai pas été long ensuite à l’exécuter !

« La menace de bonne maman lui trottait si fort dans l’esprit, il avait tellement peur qu’on ne mariât Mlle Gaby pendant l’absence de son neveu, — et de vrai ! ce malheur-là aurait pu arriver, Catherinette, — qu’il m’envoyait tout dire à celui-ci.

« Une lettre… il m’aurait fallu l’écrire ; qu’en aurait pensé M. Pierre ? Que je me mêlais de ce qui ne me regardait pas.

« Tandis qu’envoyé par son oncle, ce n’était plus pareil ; j’étais bien vraiment un messager. Ce n’était pas de mon chef, ni avec mes vingt-