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POUR L’HONNEUR

Pierre jouait avec un chien de chasse, lequel, ayant flairé en lui un ami des bêtes, était venu poser le museau sur sa main. Le jeune homme n’avait pas échangé même un coup d’œil avec Omer, lorsque la vieille servante avait pris la parole ; il ne s’appliquait qu’à paraître inattentif.

Le haut coeffage branla sur le chef parcheminé de la bossue, tandis qu’elle affirmait, soulignant son dire d’un hochement de tête énergique :

« Moi-même, et moi toute seule, oui !

— Il vous a donc donné de belles étrennes que vous avez conservé si bon souvenir de l’avoir soigné ? observa Fochard en riant.

— Le souvenir n’est ni bon ni mauvais, mon gars ; il est dans ma tête à cause que… Il ne m’a rien donné du tout, le malheureux, et je ne lui en ai point voulu.

« Quand il a ouvert les yeux, on discutait autour de lui de son transport à l’hôpital, à cause du bruit de l’hôtel, qui aurait pu augmenter son mal, prétendaient les médecins. Du même mouvement, il s’est assis et tâté :

« — Rien de cassé ! bien. Tonnerre ! qui m’a déshabillé ? Mes habits, vite ; qu’on me les donne ! »

« Et tout ça d’un ton !… Je lui apporte ses hardes, il fouille dans une de ses poches, en retire un gros portefeuille, s’assure que la serrure n’a pas été forcée, et le v’là qui nous dit :

« — Que dans cinq minutes deux chevaux sûrs soient attelés à une voiture solide ; qu’on télégraphie à Montreuil-Bellay d’en tenir une autre prête. Je vous remercie tous de vos soins ; mais, quand je devrais mourir en arrivant où je vais, il faut que je parte. Je veux être aujourd’hui à Saumur avant midi. Quelle heure est-il ?

« — Huit heures, répond le docteur Cousin. Il y a quatorze heures que vous êtes sans connaissance.

« — Justement ! Je me suis reposé. Vite ! vite ! je n’ai que le temps.

« — Vous risquez votre vie, je vous en avertis, a déclaré l’autre médecin à son tour. Voyez si la chose en vaut la peine.

« — J’ai donné ma parole que j’arriverais. Coûte que coûte, je veux la tenir… Il ne s’agit pas de quatre sous ! C’est une affaire de vie ou de mort pour celui que je représente. Est-ce qu’on attelle ? »

« Le docteur Cousin lui a encore demandé :

« — Personne ne peut donc partir à votre place ? »

« Il s’est passé la main sur le front ; il devait bien sentir que les forces n’étaient point revenues : c’est la fièvre qui le soutenait. Mais il a secoué la tête :

« — Personne, puisque la procuration est à mon nom et que le temps manque pour en faire établir une autre. Tant pis, je pars. »

« On l’a habillé, porté dans la voiture, et elle a filé grand train. Le malheureux ! il n’avait pas seulement une goutte de bouillon dans l’estomac !

— Et on n’a jamais rien su de lui ? s’informa Omer.

— Si fait… Sept à huit jours après, il est venu à l’hôtel un monsieur de la police qui nous a interrogés à part les uns des autres. Il paraît qu’il manquait une grosse somme à cet étranger ; des mille et des mille : on disait soixante et plus ! je crois.

« Mais la vérité était là… On avait trouvé son portefeuille à côté de la voiture ; celui qui l’avait aperçu le premier l’avait ramassé sous les yeux de peut-être vingt personnes, attirées par l’accident. Le docteur Cousin l’avait remis dans la poche du blessé devant tout le monde, sauf deux des voyageurs, un monsieur et une dame partis en avant ; et ça sur l’attestation du cocher, qui avait désigné son voisin de l’impériale comme propriétaire de l’objet.

« On s’était employé quatre à déshabiller ce pauvre homme. J’étais ensuite restée seule dans sa chambre, c’est vrai, mais combien de temps ! les médecins entraient à toute minute.

« N’importe ! On a fouillé dans mes nippes ! On a regardé jusque dans mon coeffage. Je m’en souciais comme d’un pruneau, ayant la conscience nette.

« Ces messieurs de la police ont l’œil. Celui-là