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POUR L’HONNEUR

« Tiens ! il y a du changement : vous n’avez plus la bossue ?

— Eh ! mon gars ! je n’ai jamais eu de bossue pour servante », avait été jusqu’ici la réponse.

Omer n’insistait pas, se bornant à dire :

« Ah ! j’avais cru ; c’est ailleurs que je l’aurai vue. »

Il se tenait pour assuré que le renseignement viendrait de lui-même s’ajuster à sa question un jour ou l’autre.

Et, de fait, il en advint ainsi vers la fin de la semaine.

À son inévitable observation sur le changement de personnel, une repasseuse à la journée, appelée par son état à aller de maison en maison, se mêla à l’entretien pour dire :

« Vous confondez, monsieur ; c’est chez Corentin Barmont, le fermier de Biard, que vous avez dû la voir : elle y est placée depuis déjà douze ans. On l’y garde par charité, la pauvre ! Elle s’est déboîté la hanche et n’est bonne qu’à rester assise au coin du feu à filer au fuseau.

— Tiens ! c’est chez Barmont que je l’ai rencontrée : possible », fit Omer indifférent.

Et il parla d’autre chose.

« Nous irons demain à Biard, n’est-ce pas ? dit Pierre sitôt remonté en voiture.

— Naturellement. Garde-toi de souffler mot, par exemple !

— Sois tranquille. »

Ce soir-là, en rentrant, Marcenay trouva une lettre qui l’ennuya fort. Elle était de Mme Saujon et ne répondait en rien à la sienne. Cette dernière se serait-elle égarée, ou bien l’oncle Charlot avait-il jugé bon de ne point communiquer à sa femme les nouvelles reçues de Pierre ?

Caroline se plaignait de tout et de tous : personne ne la contentait plus. Elle parlait à mots couverts de grosses disputes avec bonne maman, la déclarant intolérable.

Pas un mot de Gaby ! Pour Greg, il avait dû se rendre coupable de quelque impertinence, car elle déclarait avoir été sur le point de le battre.

Les deux dernières pages étaient consacrées à sa précieuse santé, bien chancelante, affirmait-elle.

« Qu’a pu faire ou dire ce petit animal de Greg ? » se demanda Pierre, sérieusement contrarié.

Les dispositions du bonhomme à l’égard de « la vieille dame » n’étaient pas pour le rassurer. Il le croyait fort capable de s’être oublié jusqu’à lui répondre sans déférence.

C’en était assez pour provoquer le courroux de Caroline, courroux facilement excitable, son neveu en avait fait l’expérience à ses dépens, jadis.

Était-ce tout ? Greg ne devait-il être réprimandé que pour un manque de politesse ? Pierre le supposait. Il ne se promit pas moins de le rappeler vertement à son devoir.

Son absence pouvait se prolonger ; il n’entendait pas que le gamin la mît à profit pour s’insurger contre la domination un peu rude, mais légitime, somme toute, de la maîtresse du lieu.

Avant de se coucher, il chapitra petit Greg quatre pages durant, et lui traça, sur un ton à dessein sévère, une ligne de conduite, dont il lui interdit de s’écarter.

Cette lettre partie, Marcenay se sentit plus tranquille. Jamais encore il n’avait grondé l’enfant ; sa semonce ne saurait manquer d’avoir un effet durable ; sa tante n’aurait sans doute pas à lui porter de nouvelles plaintes.

Cet incident réglé, le jeune homme s’efforça d’en détourner son esprit. À quoi bon se tracasser de choses auxquelles il ne pouvait rien de plus ! D’assez graves soucis l’absorbaient. Que sortirait-il de la visite du lendemain ? Voilà ce qui le tourmentait et l’empêchait de s’endormir ; cela et puis une ou deux phrases de la lettre de sa tante à propos de bonne maman… et puis aussi son silence, un silence qu’il jugeait prémédité au sujet de Gabrielle…

Le lendemain, dès après le déjeuner, Omer attela Boulotte. On visiterait en passant le château de Biard, souvent inhabité depuis la mort du vieux baron, et on irait dire bonjour au fermier sans avoir l’air d’être venu exprès.

Ce programme s’exécuta, à cette différence que Barmont, ayant croisé les jeunes gens