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POUR L’HONNEUR

précieux colis ; car, en dépit de sa bonne mine, tout à fait revenue, Greg était encore traité en convalescent et ne sortait pas les jours de pluie ou de brouillard.

Mais point n’était besoin de posséder la caisse pour en savoir le contenu. La bonne Catherinette en énumérait le détail tout au long dans sa lettre :


« Mon cher petit Greg, écrivait-elle, je n’ai pas pu aller te soigner, à mon grand regret, mais je tiens à te prouver que je ne t’oublie pas. Puisses-tu avoir autant de plaisir à recevoir ta petite caisse que j’en ai eu à la remplir !

« Tu trouveras dedans un bon cache-nez que j’ai tricoté moi-même. Je te l’ai fait bleu marine, parce que c’est la couleur que ta maman préférait. Ça te tiendra bien chaud pour aller à l’école. Je t’envoie aussi de gros gants ; cache dedans tes petites mains, qui craignent tant les engelures, et endosse au plus vite le gilet de laine qui accompagne les gants ; on doit se méfier du froid lorsqu’on sort de maladie.

« Je n’ai pas non plus oublié qu’à treize ans — tu les auras le mois prochain — on aime encore les friandises. Je t’ai fabriqué, avec le secours de notre bonne sœur cuisinière, des croquets aux amandes et des nougats aux noix.

« Enfin, tout au fond de la caisse, j’ai mis le plus précieux, devines-tu ?… Non ?… Eh bien, c’est le livre des Évangiles que j’avais en garde ; mère Norite a dû te le dire.

« À l’usure de certaines pages, tu verras ce que ton grand-père lisait de préférence : prends modèle sur lui, mon cher petit Greg ; il peut nous servir d’exemple à tous… Je l’ai bien des fois admiré, le digne homme !

« Il m’avait confié ce livre pour te le remettre quand tu aurais quinze ans ; mais tu es si raisonnable ! j’ai pensé pouvoir devancer un peu cette date.

« Présente mes compliments à M. Marcenay. Je n’ai pas à te recommander de te montrer reconnaissant, n’est-ce pas, mon cher petit ?

« Je t’envoie deux des baisers que j’aurais été si aise de te donner, à la place de ta pauvre maman, quand tu étais malade, en te soignant pour nous deux…

« Ta vieille amie,
« Catherinette, comme tu m’appelles.

« P.-S. — Je me demande si, quand tu seras un grand médecin, très savant, tu parviendras à me guérir. Ce que je sais bien, c’est que nos docteurs, qui ont pourtant du mérite, ne peuvent rien à mon mal ! »

Greg soupira :

« Bonne Catherinette ! Avant que je sois à même de te soigner ! Que de jours et d’années !… »

« Sa lettre lue et relue, il alla se poster à l’entrée du jardin, afin de voir sa caisse dès le tournant. Une caisse à son adresse ! L’événement était unique en sa vie.

Il la prit, avec une sorte de respect, des mains de Malauvert, et, d’une haleine, courut, chargé de son trésor, frapper à la porte de Pierre.

Ils déclouèrent le couvercle de concert. Tous les objets annoncés en furent tirés par leur propriétaire, qui les passait à mesure au jeune homme, lequel les étalait sur un fauteuil, afin que Greg pût admirer l’ensemble.

Heureux petit Greg ! Il cherchait vainement en lui-même le souvenir d’une heure lui ayant apporté tant de plaisir. Aux grandes fêtes, sa mère Norite faisait des crêpes pour le régaler ; à Noël, il trouvait ses sabots remplis, l’un de noix, l’autre de châtaignes : c’est tout. Ne possédant rien, qu’eût-elle pu davantage ?

Il restait devant le fauteuil en extase.

Pierre alla chercher au fond d’un tiroir un objet préparé à l’avance, et, revenant à son petit protégé :

« Je comptais ne te donner cela que demain ; mais, puisque ton Noël est arrivé, tiens : voici mon présent. »

Le ruban dénoué, le papier déroulé, Greg eut sous les yeux un écrin :

« Ouvre », commanda Pierre en souriant.

Ce qu’enfermait l’écrin, c’était une grosse montre en argent suspendue à une chaîne solide comme un câble.