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P. PERRAULT

affirmant à son petit protégé qu’il devinait tout ce qu’exprimait son silence.

Le médecin entra au moment où Greg, soudain affamé, réclamait sa soupe.

« Eh bien, docteur, qu’en dites-vous ? fit Pierre, mal revenu de sa surprise.

— Rien : je ne comprends pas… répondit celui-ci, après avoir examiné son malade. Plus trace de fièvre, température normale, la langue bonne, les yeux lucides… je suis dérouté, je l’avoue. »

Greg se leva dans l’après-midi, put dîner à table et se sentit à peine las en regagnant son lit vers huit heures.

Tous les détails de sa vie nouvelle lui étaient revenus sans effort. Deux ou trois jours pour reprendre ses forces, et c’est à peine si un reste de pâleur faisait soupçonner la crise qu’il venait de subir.

Pierre était doublement satisfait de le voir hors d’affaire : il allait pouvoir songer à se mettre en route.

La réponse du maire de Thouars lui était parvenue. Elle ne jetait aucune clarté sur l’événement, il est vrai, mais elle dénotait chez celui qui l’avait écrite beaucoup d’obligeance et de bonne volonté.

« J’ai fait discrètement, disait-il, et sans y employer aucun, ma petite enquête. J’ai le regret de vous prévenir qu’elle n’a rien donné !

« L’hôtel du Cheval-Blanc, qui était celui des relais de poste, est passé en d’autres mains ; le personnel a été renouvelé nombre de fois. Le service des diligences est supprimé depuis que le chemin de fer traverse notre pays, allant jusqu’aux Sables-d’Olonne. À Bressuire, où j’ai écrit, on ne se souvient même pas du nom des conducteurs de patache en service il y a vingt-cinq ans. J’ai interrogé tous les cantonniers. Un seul l’était à cette époque, et il ne sait rien, ayant toujours été affecté à une autre route que celle où l’accident s’est produit.

« Je ne vois trop comment nous nous y prendrons pour obtenir les renseignements que vous souhaitez avoir. Mais je reste à votre disposition, monsieur. Si, comme la teneur de votre lettre me le laisse pressentir, vous vous décidez à mener vous-même l’enquête, venez me trouver en arrivant. Je me ferai un plaisir de vous seconder dans vos démarches. »

Il avait ajouté en post-scriptum :

« Je viens de penser à un moyen qui aurait peut-être des chances d’aboutir.

« Si cela ne présente pas d’inconvénient, rédigez une note et envoyez-la-moi. Je la ferai passer aux journaux de la région ; ils sont très lus. Je recevrai et vous transmettrai les communications obtenues par cette voie. »

Assuré d’un collaborateur discret et plein de zèle, Pierre se sentit moins inquiet sur l’issue de son entreprise.

Il lui paraissait impossible que sur sept ou huit voyageurs, dont parlait son oncle, sans compter les paysans venus au secours de l’équipage, il ne se rencontrât personne ayant gardé le souvenir d’un si grave accident, et du nom de ceux qui en avaient été victimes.

Le problème était de découvrir ce témoin précieux.

Sans doute, il lui faudrait aller de village en village, de maison en maison, aux environs de Thouars. Le moment était mal choisi. On approchait de la Noël. À cette époque, où la terre se repose, les laboureurs sont en liesse : visites de parenté, repas de famille, accordailles ; ce sont partout des réjouissances. Il serait mieux d’attendre quelques semaines.

Mettant à profit le dernier conseil du maire de Thouars, ce ne serait pas du temps inemployé ; la note aux journaux ferait son chemin et produirait tous les résultats qu’on en devait attendre durant cet intervalle.

Le jour même, Pierre rédigea un bref communiqué et l’expédia, annonçant, après avoir pris l’avis de l’oncle Charlot, qu’il se rendrait à Thouars dès après la fête des Rois.

Ce retard permit au jeune homme d’être témoin de la joie du petit Greg, une grande joie !

La veille de Noël, le courrier déposa au Péage une caisse à l’adresse de « M. Grégoire Chaverny », et le facteur apporta la lettre l’annonçant.

Malauvert fut dépêché pour aller quérir le