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P. PERRAULT

gens chargés de le soigner, et, dans la maison, ni enfants, ni personnes jeunes. » Il y avait, paraît-il, des cas isolés aux environs ; aucune mesure préservatrice n’a été prise, et le mal se transforme en épidémie.

— Mais vous ?… observa Gabrielle.

— Oh ! moi, je suis à l’épreuve. Et puis, m’étant chargé de ce bonhomme, je lui dois mes soins. »

Une question vint aux lèvres de la jeune fille, mais elle était sur ses gardes ; elle se tut, cette fois. Ce fut Pierre qui reprit :

« J’espère que Mlle Dortan voudra bien me remplacer pendant la convalescence ; le voyage dont je vous parlais hier est indispensable et pressé !… Je partirai dès que l’état de Greg me le permettra. Je n’ai pu m’empêcher de sourire, hier soir, lorsque vous avez fait cette réflexion à propos de mon absence : « Ce serait bien naturel. » Vous vous disiez ceci, n’est-ce pas, vous qui avez la passion des excursions lointaines : « Voyager, c’est la première chose qui doit tenter un millionnaire. » Et moi, je pensais à ce que je vais vous confier, d’accord avec l’oncle Charlot ; je peux même dire que c’est lui qui m’envoie. Nous avons jugé tous les deux que nous vous devions cette marque de confiance, à vous si compatissante, si dévouée au pauvre infirme. Vous nous garderez le secret, n’est-ce pas ? ».

Elle inclina la tête affirmativement et prononça :

« D’une manière absolue, vous pouvez en assurer M. Saujon. Reportez-lui aussi que rien ne pouvait me toucher davantage.

— Voici ce qui nécessite mon départ ; car les deux choses se tiennent. Mon oncle Odule avait contracté, en quittant la France, un emprunt dans des conditions telles, que le remboursement emportera une bonne part de sa fortune. Mais nous ne retrouvons pas dans ses papiers certaines indications indispensables. Je vais être forcé de faire des recherches qui peuvent me conduire loin, me prendre quelque temps… Nous avons grande hâte que cette question soit réglée.

— Vous avez joliment raison ! Vous serez ainsi débarrassé de ce maudit argent », s’écria la jeune fille, souriant à Pierre, incapable de dissimuler la joie qu’elle ressentait.

Oncle Charlot, où étiez-vous ?… En surprenant le joli et franc regard échangé après cette exclamation entre Gaby et Pierre, vous auriez jugé l’heure venue, et, sur-le-champ, fiancé ces deux enfants de votre choix…

Un mot prononcé, un engagement pris, c’est une incalculable force à opposer aux événements contraires… Pauvre oncle Charlot, que n’étiez-vous aux côtés de votre petite amie ?…

Bonne maman s’avançait, bien enveloppée elle aussi et très décidée à se mêler de l’étendage. Mais ce que Marcenay lui apprit, touchant l’état de Greg et les ordres du docteur, modifia le courant de ses idées.

« Ta mère qui voulait amener les petites, aux vacances du premier de l’an ! C’est nous qui allons émigrer. Je n’entends pas prendre la responsabilité de te garder ici exposée à la contagion. Les microbes passeraient fort bien le mur, ma chère. Partons ! partons ! Mélanie pliera la lessive avec la cuisinière.

— Et ma tante Aubertin qui doit venir ces jours-ci ? objecta Gabrielle, peu tentée de se ranger à l’avis de sa grand’mère.

— Nous la verrons à Chalon.

— Ce ne sera pas tout à fait la même chose que de la recevoir chez vous… Et puis, bonne maman, ajouta-t-elle en hochant la tête, gare aux migraines chaque fois qu’on déchargera les lamelles de fer et les poutres à pleines charretées.

— Que veux-tu ? De deux maux il faut choisir le moindre.

— Combien je vous approuve, madame ! s’écria Pierre, heureux de la pensée que Gabrielle serait à l’abri de l’épidémie.

— N’est-ce pas ? On ne saurait être trop prudent.

— Pour les autres… remarqua Gaby ; M. Marcenay reste bien !

— Ce n’est pas ce qu’il fait de mieux au point de vue de sa sécurité, repartit bonne maman.

— Je sais qu’il est des devoirs qui doivent passer avant le souci de soi-même : je ne le blâme pas de rester ; ce que je déplore, c’est