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LA VENGEANCE DU MEUNIER

René n’entendait rien… rien que le cri de sa conscience luttant contre la rancune, mais soutenue par l’exemple du meunier. Il comprenait, enfin, que le pardon élève seul l’offensé au-dessus de l’offenseur.

« Et la Drenelle ? » fit-il tout à coup sans prendre garde à l’interruption apportée dans le récit.

Un nuage voila les traits du meunier pendant qu’il répondait :

« Vous pensez bien, monsieur René, que ma marmaille l’a effrayée… Comme de juste, une jeunesse de dix-huit ans aime mieux danser et s’attifer que de soigner trois mioches tombés d’emblée dans le ménage. C’est une bonne fille qui ne manquera point d’épouseur. »

Quelque chose de brillant parut dans les yeux du meunier et la toute petite, qui le vit bien, passa ses deux menottes sur les paupières de son nouveau papa.

Le mounet baisa les menottes et reprit son histoire.

Il y avait congé ce jour-là pour le moulin et pour son maître.

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Au soir seulement, René quitta François Aubron et sa famille.

Le ciel était bleu, sauf au couchant, où le soleil enflammait l’horizon… la campagne lavée étincelait de toutes parts… changée en un riche écrin de velours vert rutilant de pierreries… les oiseaux se poursuivaient en gazouillant… Un souffle pur, comme l’haleine de cette belle végétation rafraîchie, ridait sous ses caresses les flaques d’eau disséminées un peu partout.

Le mounet profita de la brise. René n’était pas au bas de la colline que les ailes du moulin se mirent lentement à tourner, secouant sur l’herbe, en perles limpides, les gouttes d’eau qui les alourdissaient… les ronrons commencèrent joyeux… Vraiment le moulin semblait fier de moudre sous ses bonnes meules le pain des trois petits enfants à Jean Renaud.

Le pauvre gars !…

Le cœur plein de lumière, René franchit l’entrée du parc… Sans s’y arrêter, il côtoya l’arsenal… Deux larmes s’échappèrent de ses yeux ; il tourna la tête… mais bientôt le vent sécha ses larmes comme il avait séché la pluie de tout un jour…

Il vit venir Philippe, goguenard, portant haut la tête, un sifflement aux lèvres…

Tout le sang de René lui afflua au cœur… un froid glacial courut en ses membres… un dernier sursaut de révolte l’agita… mais la Drenelle… les trois orphelins… le mounet… passèrent comme l’éclair dans son souvenir… Il avança.

Les deux enfants se regardaient approcher… les yeux brillants tous deux… l’un de bravade, l’autre d’énergique volonté.

« Tu viens de faire évoluer le Jean-Bart ? » cria Philippe avec aplomb.

Quelques gouttes de sueur perlaient aux tempes de René… il attendit un peu que le battement de ses artères fût calmé, puis tout près maintenant de son cousin, il lui tendit la main en disant :

« Non, je viens d’apprendre à me vaincre. Philippe, je te pardonne la peine que tu m’as causée… j’ai eu tort de te refuser mon bateau… tu t’es vengé… tout est fini… n’en parlons plus… »

Philippe recula… une seconde il regarda son cousin… et puis, voyant que c’était sérieux, ce renoncement à la vengeance, il ensevelit son visage dans ses mains et éclata en sanglots.

Alors, ce phénomène se produisit : René, qui, malgré sa généreuse résolution, ne se croyait pas capable de rendre à Philippe la banale sympathie qu’il lui avait toujours témoignée, éprouva une vive émotion… Il sentait bien que le chagrin du coupable excédait sa peine à lui, parce qu’il s’y glissait l’amertume du remords.

Naturellement, simplement, il se pencha vers son cousin, lui jeta ses bras autour du cou et l’embrassa.

Il avait accordé le pardon des lèvres et celui du cœur naissait de lui-même, sans effort et sans violence.

Comme le soleil séchant les eaux du sol, sa