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ANDRÉ LAURIE

gés, il fut aussitôt mûrement développé. Gérard commença par procéder avec soin au repérage de la galerie souterraine, de manière à déterminer le point précis qui correspondait à la colline. Tous les sacs de poudre K, déterrés un à un, y furent successivement transportés par Weber et lui, puis rangés de manière à remplir toute la largeur du souterrain. Ce fut l’affaire d’une journée de travail acharné.

On agita alors la question de savoir comment l’explosion serait provoquée. Le procédé le plus simple paraissait être celui d’une longue mèche partant de la tour pour aller transmettre le feu à l’amas des sacs de poudre. Mais les éléments dont disposaient les assiégés pour la fabrication de cette mèche n’étaient pas des plus sûrs. Elle pouvait s’éteindre, ou tout au moins brûler lentement, en laissant incertaine la minute même de l’explosion. On devait craindre aussi que la poudre K n’eût subi un commencement de décomposition spontanée, de nature à laisser des doutes sur son mode d’action sous l’influence de la chaleur. Si elle allait, au moment critique, brûler au lieu d’exploser !… Il ne fallait pas risquer une telle déconvenue ; au contraire, en provoquant l’explosion par une commotion des couches d’air ambiantes, elle était aussi certaine que facile, le défaut même de la poudre K étant sa sensibilité excessive aux ondes atmosphériques.

Il fut donc arrêté qu’on s’en tiendrait à ce procédé.

Weber se chargea de disposer à l’entrée du souterrain, du côté de la tour, un amas de cartouches qui devaient, sous l’action d’un marteau obéissant à la détente d’un ressort, déterminer, en écrasant une capsule, la plus retentissante détonation. Ce travail remplit encore douze heures.

Quand tous les préparatifs furent achevés, Il n’y avait plus qu’à régler l’ordre d’attaque.

La garnison se divisa en deux sections : la première, composée de M. Massey, Martial Hardouin, Le Guen, Colette et Martine, allait opérer sur la position nord des assiégeants, en la prenant à revers par l’ouest. La seconde, formée de Gérard, Henri, lady Théodora, Lina et son père, avait pour objectif le groupe des assiégeants du sud, qu’elle devait également attaquer par l’ouest. Lord Fairfleld, transporté dans un fauteuil à l’entrée du souterrain, était constitué gardien de l’appareil détonant, tandis que Mme Massey restait à la garde de Tottie, endormie dans son berceau. L’heure de l’attaque était fixée à minuit.

La soirée se passa gaiement à attendre le moment décisif. Comme il arrive dans les crises tragiques et sous l’influence de la surexcitation nerveuse que fait naitre le péril, chacun mettait une aigrette à sa bravoure. On riait en vérifiant avec soin l’état des armes et des ceintures à cartouches ; on riait en se lestant d’un doigt de vin et d’un biscuit pour les fatigues du combat.

L’heure approchait. Mme Massey serra ses enfants sur son sein ; les deux troupes échangèrent une dernière poignée de main et la division des forces s’opéra : l’une descendant le fossé par la droite et l’autre par la gauche, pour s’en aller silencieusement « espérer » le signal de la double attaque, selon le mot de Le Guen. M. Massey devait le donner par un coup de feu quand il jugerait que la troupe de Gérard était au poste convenu.

À minuit précis, ce signal était lancé et les deux petites bandes de tirailleurs, qui avaient eu le temps de prendre un repos de vingt minutes, au terme de leur marche, s’avancèrent sur les positions ennemies en tirant aussi vite que le permettaient les fusils à magasin. Ce feu continu devait nécessairement produire sur les troupes ignorantes que commandait Benoni, surprises en plein sommeil, l’effet démoralisant d’une armée de secours très supérieure en nombre, entrant subitement en scène pour les refouler vers la tour phénicienne, c’est-à-dire sous les balles des assiégés.

Les tireurs évitaient, d’ailleurs, de se montrer. Fidèles à l’excellente tactique qu’ils avaient vu pratiquer par les Boers, ils s’abritaient derrière tous les accidents de terrain, arbres, rochers ou buissons, et rampaient sur le sol pour passer de l’un à l’autre. Les dames, qui formaient une fraction si importante de