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DE GRANVELLE

nous ? Il faut chercher, nous remuer ; nous devons avoir quelque chose à faire ; je ne sais pas quoi, mais…

— Ah ! d’abord, oui, il faut vite écrire à Mlle  Thion et à Mme  Grand pour décommander les robes et les chapeaux choisis ce matin.

— Tu vois bien. Et après ?

— Après… après… c’est tout.

— Oh ! que non ! Combien as-tu d’argent ?

— Tiens, c’est vrai ; mais au moins cinq cents francs ; et toi ?

— La même chose. Nous donnerons cela à Mlle  Hélier pour payer les gages des domestiques.

— Oh ! chérie !

— Et après ?

— Après ?… Nous vendrons nos bijoux, nos bibelots, tout.

— C’est ça ! Comme tu as de bonnes idées ! »

Et alors commencèrent à défiler les plans les plus splendides, tous irréalisables, d’ailleurs, mais empreints de la plus tendre affection pour le père, la mère et Mlle  Hélier.

À trois heures du matin, il était décidé qu’on proposerait à papa d’aller habiter les environs de Versailles « où la vie est bien moins chère, tu sais, Jeanne ». On aurait une maison avec jardin, des poules, des lapins.

« Et nous pourrions même emmener tante Raphaële et son monde, n’est-ce pas, Amélie ? »

En somme, après plusieurs heures de projets bizarres, les jeunes filles étaient arrivées à une solution assez raisonnable, ce dont elles n’étaient pas peu fières.

Elles dormirent comme si rien n’était advenu.


V


Mlle  Hélier, qui n’avait pas voulu suivre Jeanne et Amélie chez elles, était, de son côté, rentrée dans sa chambre et s’était, tout de suite, mise à écrire une lettre :


« Bien chère Madame,

« Depuis de longues années vous m’avez dit maintes fois que je pourrais avoir recours à vous en cas de besoin. Je frappe à votre porte. Le malheur vient de tomber chez mes excellents amis Gandrons, qui se trouvent presque tout à fait ruinés.

« Je ne puis, ni ne veux rester à leur charge. Voici mon projet : je désire, soit seule, soit avec mes élèves Jeanne et Amélie, fonder un cours, une sorte d’académie des Beaux-Arts : peinture, littérature, musique, au choix. Vous savez que Jeanne a un joli talent d’aquarelliste et qu’Amélie chante comme un rossignol. Elles ont, en outre, toutes deux, ce qu’il faut pour bien professer : la patience, la bonté et le courage. Voulez-vous m’aider ? Je sais que vous me répondrez : oui ; et, sans attendre, je vais vous dire ce que vous pourrez faire pour moi.

« Mais vous avez déjà deviné qu’il s’agit de nous mettre à la mode parmi vos nombreuses relations de Passy et des Champs-Élysées. C’est cela même et je suis si sûre de votre bonté que je considère notre succès comme assuré. Merci d’avance, chère bonne Madame et amie.

« Permettez-moi de baiser vos belles mains comme lorsque j’étais enfant et laissez-moi me dire votre toujours tendre, respectueuse, reconnaissante et dévouée,

« Marthe Hélier. »

« P.-S. — Par le temps qui court, on joue beaucoup la comédie, un peu partout… et ailleurs. Nous pourrions avoir des séances de diction, ce qui ne serait pas mal, et nous charger de faire répéter les rôles à nos élèves, jeunes filles ou jeunes femmes, ce qui serait mieux. Ayez la bonté de me dire ce que vous pensez de mon idée. »

Et puis, l’adresse : « Madame la générale Renoulx, 223, avenue du Bois de Boulogne. »


VI


Ah ! il y eut de grandes batailles, les jours suivants, chez les Gandrons ! et des joutes oratoires, et des conciliabules, auxquels prit part, avec voix délibérative, comme elle disait, la bonne Mme  Renoulx que tout le monde, parmi ses amis, appelait « la Maréchale ». Ce fut un assaut de générosité, de