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POUR L’HONNEUR

Mais, comme il s’enlevait pour sauter en s’aidant d’un poteau, une main brusque s’abattait sur lui, donnait à son élan une impulsion aussi violente qu’involontaire.

La palissade ébranlée par son poids craquait… puis se couchait, rompue, sous le choc imprimé par Pierre ; et tous deux roulaient, Marc au bas d’un talus de dix mètres, semé de luzerne, Marcenay parmi les buissons en bordure.

La scène avait lieu à deux cents mètres de la gare où un train chauffait, prêt à partir.

Déjà relevé et penché sur le vide, cherchant du regard son camarade, Pierre le vit étendu sur la voie, immobile, évanoui… mort peut-être !…

Courir jusqu’à l’étroit escalier qu’il apercevait près du pont, le descendre par bonds, au risque de se rompre le col à son tour, fut pour l’étourdi l’affaire de moins d’une minute.

Mais c’était encore trop !

Un sifflement retentit, suivit d’un halètement sourd… Et la locomotive apparut, décrivant sa courbe.

Écrasé d’horreur, les yeux fermés, demandant à mourir aussi, Pierre tomba sur ses genoux.

Heureusement, un ouvrier, occupé à répandre du sable entre les rails, avait entrevu Marc : il accourait…

N’ayant plus la possibilité de franchir la voie devant le train, il enleva l’enfant, bondit en arrière, sauvé, mais si proche qu’un marchepied le frôla.

Lorsqu’il eut pris le temps de respirer un peu, le brave garçon, qui se sentait des jambes de coton, à présent que le danger était loin, appela à son aide Pierre toujours affalé sur le sol, et qui avait assisté au sauvetage, presque inconscient.

À eux deux, ils transportèrent Marc à l’abri de toute nouvelle aventure et lui baignèrent les tempes avec l’eau qui suintait du talus en une mince rigole.

« Le voilà qui revient à lui, votre camarade », fit soudain l’ouvrier, voyant Marc soulever la tête.

Et, après lui avoir palpé avec précaution les deux bras et les deux jambes :

« Rien de cassé ! Il a de la veine ! Et, pardessus le marché, grâce à sa syncope, il a évité le trac, le chançard. »

Chançard ?… Le comte de Trop !

Une fois debout, s’efforçant de secouer l’étourdissement qui persistait, l’enfant sourit à Pierre.

« Je ne t’ai pas menti, affirma-t-il, les billes sont bien à moi. »

Et il ajouta plus hardi que tout à l’heure :

« Tu peux demander à Évertis. Il était chez le concierge quand je les ai achetées. »

Pierre eut un geste indifférent. Les billes…voilà qui ne le tracassait guère. Il s’informa, inquiet :

« Tu n’as plus mal !

— Non, non, plus du tout.

— Je ne l’ai pas fait exprès, va », murmura Marcenay, ne sachant par quels mots s’excuser, parce qu’il ne trouvait pas en lui-même l’affection qui eût donné tant de prix à son repentir.

« Ce n’est pas toi. J’avais trop d’élan ; le terrain est étroit, je serais tombé tout de même ».

Et, embrassant le jeune ouvrier qui l’avait sauvé :

« Merci de tout mon cœur, monsieur ; dites-moi, s’il vous plaît, où vous demeurez. Le premier jour de sortie, j’irai vous voir. Je n’oublierai jamais que vous avez risqué votre vie pour moi. Je le dirai à ma tante et à mon oncle, ce que vous avez fait. Je suis sûr que mon oncle serait content de vous prendre chez lui.

— Qui ça, votre oncle ?

M. Lavaur.

— Le marchand de fers ?

— Oui.

— Ben, s’il « serait » content de m’employer, je serais encore plus content de travailler pour lui, moi ! »

Le jeune ouvrier devait en effet entrer dans la maison Lavaur. Mais pour la visite promise, il ne la reçut point à la date annoncée.

L’ébranlement nerveux avait été si violent