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J. LERMONT

si Selma avait été grondée par sa mère pour ses multiples fautes de la veille.

Au bruit de la clef dans la serrure, les conversations les plus palpitantes d’intérêt cessaient brusquement et toutes les fillettes n’avaient plus qu’une préoccupation : arriver première à sa place et « repasser » la leçon du jour avant l’entrée de la maîtresse.

Quelle précipitation. C’est, sur l’escalier de bois, comme un roulement de tonnerre, une bousculade effrénée vers l’antichambre où se trouve le vestiaire. Chacune des élèves a son endroit réservé : une patère pour y accrocher manteaux et capelines ; une case pour y dé­poser les patins ou les caoutchoucs qui per­mettent aux petits pieds de rester chauds et secs pendant toute la durée de la classe.

Qu’on se dépêche ! On a tant à faire : prendre en son cartable les livres et cahiers, emportés la veille pour étudier chez soi, et les ranger dans son pupitre, s’assurer que les plumes sont en bon état, les crayons taillés, et, pour tout cela, on n’a que quelques instants. Quand sonne la première cloche, cinq minutes avant huit heures, toutes les écolières doivent être en place, et silencieuses.

À huit heures juste, au son de la seconde cloche, toutes se lèvent et, à la file, se dirigent, division par division, vers la salle com­mune où l’on fait la prière du matin. L’une des grandes s’assied devant l’orgue-harmonium et, ayant au préalable indiqué le psaume qu’elle se dispose à accompagner, frappe les premiers accords. Avec un ensemble parfait, ces voix argentines entonnent le psaume désigné, puis la directrice lit un chapitre de la Bible, que l’on écoute dans le plus profond recueillement ; elle y ajoute une courte prière qui trouve un écho dans tous les cœurs. Après quoi les élèves, toujours muettes et sérieuses, reprennent, dans le même ordre, le chemin de leurs classes respectives, et, pour une heure, on ne songe qu’à étudier.

Au bout de cette heure, la cloche annonce, non plus le travail, mais le repos : dix mi­nutes de récréation. Qu’on a vite fait de fer­mer livres et cahiers pour courir vers l’im­mense salle de récréation, l’hiver, ou la cour, l’été. Seule une fillette s’attarde en la classe déserte, c’est celle qui a sa « semaine d’ordre ». Elle ouvre les fenêtres pour renouveler l’air et prépare le nécessaire pour la leçon sui­vante.

De la salle où l’on s’amuse partent des cris de joie, des éclats de rire. C’est la réaction après une heure d’immobilité absolue et de tension d’esprit dans un silence complet. On chante. On danse, parmi les plus petites, et ce sont des hurlements de bonheur quand on peut, au passage, enserrer un austère profes­seur dans la ronde joyeuse.

Les maîtresses se prêtent bénévolement au jeu ; autant elles savent maintenir la disci­pline en classe, autant elles sont familières et maternelles partout ailleurs que dans l’exercice de leurs fonctions. Aussi il faut voir combien leurs élèves les aiment.

Volontiers les autres peuples s’imaginent les populations du Nord froides, compassées, peu expansives en paroles et pas du tout démonstratives ; mais nos petites Finlandaises sont souvent très caressantes, très affectueuses, presque méridionales dans leur manière d’être. Cela tient peut-être à notre ori­gine demi-asiatique. Quand on pense que nous sommes cousins des Magyars de Hongrie, on s’étonne moins de nos caractères ardents.

Mais me voilà loin des dix minutes de récréation entre chaque heure de classe.

Si vous les entendiez, ces fillettes rieuses, chantant Tule-tule, Kultani et autres chants populaires, mélodies plaintives, rêveuses ou entraînantes, vous auriez envie d’en faire autant…

Les maîtresses ont l’œil à tout, elles surveillent les exercices gymnastiques à côté, et si, par hasard, une « petite » pleine d’ardeur a grimpé au dernier échelon de l’échelle ou tout au haut de la corde à nœuds, et n’ose plus redescendre seule, elle n’a pas le temps d’avoir peur, une main secourable l’a déjà soutenue.

La cloche interrompt les jeux comme par enchantement. On se retrouve devant son pupitre et un second coup de cloche ramène le silence avant même que le professeur soit