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LA FOUX-AUX-ROSES

sieurs amies et les aimer tout de même beaucoup. »

Irène la regardait avec admiration :

« Comme tu es raisonnable ! comme tu dois savoir de belles choses !

— Bah ! fit en riant la petite Parisienne ; parions que tu m’en apprendrais encore plus que je ne sais pas. Puis elle ajouta : Vois-tu, quand on a une maman toujours malade et une bonne vieille grand’mère qui n’aime pas le bruit, il ne faut pas les fatiguer ; dans le jardin je chante, je joue comme les autres enfants, je fais de superbes parties avec mon chien Morilo ; mais à la maison je m’amuse tranquillement, j’écoute les grandes personnes et surtout maman ; c’est elle qui m’enseigne ce que je dois faire de bien et qui me rend raisonnable tout doucement sans jamais m’ennuyer.

— Que tu es heureuse ! soupira Irène. Tante Dorothée fait quelquefois la conversation avec moi ; elle veut aussi que je sois bonne, mais presque toujours elle parle de notre Foux-aux-Roses pour me recommander de défendre mes droits plus tard !… Moi, j’aimerais mieux n’avoir pas d’ennemis, vois-tu ; jamais je ne détesterai Marthe, quoiqu’elle passe à côté de moi d’un air fier, ni Norbert, ni Jacques non plus qui ne peut pas me souffrir. Quand il vient dans le chemin aux Roses, lui, c’est pour me taquiner : il fait tomber mes affaires dans la Foux. L’année dernière, c’était bien pis ; il m’a gâté ma plus jolie fille, une poupée toute neuve qu’on m’avait envoyée de Marseille, et tante Dor m’a punie : elle croyait que je l’avais abîmée par négligence.

— Tu aurais pu lui dire que ce n’était pas de ta faute.

— Non ! oh ! non, repartit doucement Irène, je ne veux pas irriter ma tante contre les parents de là-bas ! »

La réponse de Nadine ne fut pas longue, pourtant elle fit briller des larmes de joie dans les yeux gris d’Irène : c’était un baiser comme jamais elle n’en avait reçu d’une enfant de son âge.

« Bravo ! c’est touchant fit la voix moqueuse de Philippe qui se rapprochait. Venez-vous ? On doit nous attendre. »

Au retour, Irène guida ses amis par le chemin le plus court ; comme ils passaient près d’un chêne vert, elle murmura :

« Une autre fois, si ta maman permet que tu reviennes, j’appellerai mes oiseaux ; ils sont si gentils, tu verras ! »

À la Bastide, M. Jouvenet était parti en s’excusant parce qu’il avait une affaire importante à traiter ; mais le temps n’avait pas paru long à Mme Francœur et à Mlle Lissac. La vieille dame avait raconté l’existence tranquille qu’elle et son mari menaient dans la plus paisible rue de Mortagne. La tante d’Irène avait à son tour énuméré le charme de ses occupations champêtres, et toutes deux étaient tombées d’accord sur l’horreur que leur causaient les chemins de fer qui secouaient les pauvres voyageurs au risque de leur briser les os, affirmaient-elles énergiquement.

On se quitta enfin, et Irène, de nouveau hissée à l’angle du petit mur, écouta les pas des visiteurs s’affaiblissant jusqu’à ce qu’ils se fussent perdus dans le lointain.

A. Mouans.

(La suite prochainement.)