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LA (IRANDE l’ORÈT — Alors... pourquoi ne pas nous lancer à travers cette foret ?... — Parce qu’elle est impénétrable. — Oh ! impénétrable !., répliqua Maxlluber, en secouant la tête d’un air de doute. — Pas aux piétons, peut-être, observa le Portugais, et encore n’en suis-je pas sûr, puisque aucun ne l’a essayé. Quant à y aven­ turer les attelages, ce serait une tentative sans résultat. — Vous dites, Urdax, que personne n’a jamais essayé de s’engager dans cette forêt ?... — Essayé... je ne sais, monsieur Max, mais qu’on y ait réussi... non... et, dans le Came­ roun comme dans le Congo, personne ne s’aviserait de le tenter. Qui aurait la préten­ tion de passer là où il n’y a aucun sentier, au milieu des halliers épineux et des ronces ? Je ne sais même si le feu et la hache parvien­ draient à déblayer le chemin, sans parler des arbres morts, qui doivent former d’insur­ montables obstacles... — Insurmontables, Urdax ! — Voyons, cher ami, dit alors John Cort, n’allez pas vous emballer sur cette forêt, et estimons-nous heureux de n’avoir qu’à la contourner !... J’avoue qu’il ne m irait guère de nous risquer au milieu d’un pareil laby­ rinthe d’arbres... — Pas même pour savoir ce qu’il renferme peut-être ?... — Et que voulez-vous qu’on y trouve, Max ?... Des royaumes inconnus*, des villes enchantées, des eldorados mythologiques, des animaux d’espèce nouvelle, des carnas­ siers à cinq pattes et des êtres humains à trois jambes ?... — Pourquoi pas, John ?... Et rien de tel que d’y aller voir !... » Llanga, ses grands yeux attentifs, sa phy­ sionomie éveillée, semblait dire que si Max liuber se hasardait en cette forêt mystérieuse, il n’aurait pas peur de l’v suivre. « Dans tous les cas, reprit John Cort, puisque Urdax n’a pas l’intention de traverser ces bois pour atteindre les rives de l’Oubanghi... — Non, certes, répliqua le Portugais, car

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ce serait s’exposer à n’en pouvoir plus sortir ! — Eh bien, mon cher Max. allons faire un somme, et permis à vous de chercher à décou­ vrir les mystères de cette forêt, de vous ris­ quer en ces impénétrables massifs, en rêve seulement, et encore n’est-ce pas même très prudent !... — Riez, John, riez de moi à votre aise ! Mais je me souviens de ce qu’a dit un de nos poètes... je ne sais plus lequel : Fouiller dans l’inconnu pour trouver du nouveau.

— Vraiment, Max ? Et quel est l’autre vers qui rime avec celui-ci ?... — Ma foi... je l’ai oublié. John ! — Oubliez donc le premier comme vous avez oublié le second, et allons nous cou­ cher. ») C’était évidemment ce qu’il y avait de plus sage et sans réintégrer les compartiments du chariot. Une nuit au pied du tertre, sous ces magnifiques tamarins dont la fraîcheur tempérait quelque peu la chaleur ambiante, si forte encore après le coucher du soleil, cela n’était pas pour inquiéter des habitués de « l’hôtel de la Belle-Étoile », quand le temps le permettait. Ce soir-là, bien que les constellations fussent cachées derrière d’épais nuages, comme la pluie ne menaçait pas, il était infiniment préférable de dormir en plein air. Le jeune indigène apporta des couvertures. Les deux amis, bien enveloppés, s’étendirent entre les racines d’un tamarin, — un vrai cadre de cabine, — et Llanga se blottit près d’eux, comme un chien de garde. Avant de les imiter, Urdax et Khamis vou­ lurent une dernière fois faire le tour du cam­ pement, s’assurer que les bœufs entravés ne pourraient divaguer par la plaine, que les porteurs se trouvaient à leur poste de veille, que les foyers avaient été éteints par pru­ dence, car une étincelle eût suffi à incendier les herbes sèches et le bois mort. Puis tous deux revinrent vers le chariot, près duquel ils se couchèrent. Le sommeil ne tarda pas à les prendre — un sommeil à ne pas entendre Dieu tonner. Et peut-être les veilleurs y succombèrent-ils,