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J. LERMONT

— Est-elle aussi laide que Rousseline le prétend ? demandèrent ensemble les deux garçons.

— Au contraire ; elle est petite pour une fille du même âge que moi, mais si gentille !… elle a de longues boucles blond cendré et des yeux bleus comme la bague en turquoise de maman ; elle disait : « Tu te trompes, Généreuse, ce n’est pas un piège… à quoi cela peut-il servir ? » Morilo est alors sorti de sa cachette pour sauter autour d’elle ; tout de suite elle a deviné que c’était son ouvrage, et plus elle avait l’air content, plus Généreuse était en colère. Moi, je m’étais cachée derrière le lilas pour voir sans être vue ; je comptais sans Morilo qui est un chien très extraordinaire ; il se dressait sur ses pattes de derrière et jappait en regardant de mon côté. C’est lui qui m’a fait découvrir, il a bien fallu me montrer.

— Alors, dit Jacques toujours impatient, Nadine et toi, vous avez causé.

— Je n’y tenais plus, j’ai tout expliqué juste au moment où la grand’mère de Nadine arrivait d’un côté et mère de l’autre. Mme Francœur a plaidé pour moi, et j’ai obtenu la permission d’aider à défaire l’ouvrage de Morilo. Jamais, non, jamais de ma vie je n’ai passé une matinée aussi agréable. »

Marthe donna une foule de détails sur la famille de l’architecte : elle dit que Mme Jouvenet était bonne et aimable, que la grand’maman parlait toujours de Mortagne, et que la grosse Généreuse l’avait beaucoup amusée avec ses discours à la mode des campagnards normands.

Une partie de l’après-midi fut employée à cette intéressante causerie.

A. Mouans.

(La suite prochainement.)


EN FINLANDE

(SOUVENIRS D’UNE JEUNE FILLE)

I


Je me souviens, comme si c’était hier, de mon entrée en pension. Mon père m’avait amenée lui-même, il était resté pour m’encourager pendant l’examen obligatoire, et de l’avoir là, si grand, si beau, si fort, auprès de moi, toute petite et craintive, me rendait moins pénible cet instant critique. Il me semblait que sa présence me donnait un peu de sa force et de sa science, et, tremblante, je me serrais contre lui.

Oh ! que mon petit cœur battait, bien avant l’arrivée de cette maîtresse terrible que je redoutais tant, sans la connaître !

La classe se remplissait petit à petit, et cette foule de fillettes, chuchotant, riant, jacassant, véritable nuée de moineaux babillards, suffisait, à elle seule, pour m’intimider outre mesure. Je perdais toute contenance devant ces coups d’œil qui m’examinaient et me critiquaient sans doute de la tête aux pieds.

Jusque-là, ma salle d’études avait été notre grande salle à manger, fraîche l’été à cause des vieux arbres qui l’ombrageaient, chaude l’hiver, grâce à son énorme poêle de faïence jamais éteint et à six doubles fenêtres hermétiquement closes, en tous temps plaisante et jolie avec ses fleurs et ses oiseaux. J’avais eu pour unique camarade ma petite sœur Elsa et, pour maître, ma mère chérie, qui jamais ne grondait. Dans cette nouvelle atmosphère, je me sentais toute dépaysée, toute confuse, et mes joues devenaient cramoisies.

Ces fillettes rieuses n’étaient point gênées, elles, point troublées ; toutes leurs compagnes leur étaient connues et il n’était pas une carte murale qui ne leur fût familière. Celles-là même qui devaient comme moi affronter le redoutable examen avaient ensemble fréquenté l’école primaire et y avaient acquis l’aplomb que confère l’éducation en commun.