Page:Magasin d'Éducation et de Récréation, Tome XIII, 1901.pdf/53

Cette page a été validée par deux contributeurs.
52
A. MOUANS

ainsi, je ne regrette presque plus mon bain. »

Lorsque Philippe n’était pas en veine de fanfaronnade, son ton devenait plus simple, ses manières plus affables : en un mot, il perdait son air de « petit monsieur content de lui » et sa physionomie y gagnait beaucoup.

Comme ils marchaient constamment au soleil, il ne souffrait pas de ses vêtements humides. Ayant retrouvé son entrain, il raconta chemin faisant à ses nouveaux amis une foule de hâbleries, d’anecdotes invraisemblables destinées à prouver que, malgré sa chute dans la Foux-aux-Roses, il était un cycliste de première force. Le gros Jacques, enchanté d’avoir fait sa connaissance, l’écoutait et l’admirait consciencieusement ; mais son frère, plus avisé et aussi moins enfant, souriait d’un air incrédule, tout en gardant un silence dont l’intention moqueuse finit par embarrasser Philippe.

Au moment où les cloches lointaines sonnaient midi, M. Brial et M. Jouvenet, qui venaient de se rencontrer sur la route, marchaient paisiblement tout en causant, lorsqu’ils virent apparaître le groupe des jeunes garçons :

« Voilà des enfants qui nous évitent la peine de les présenter les uns aux autres, s’écria l’architecte ; je serai charmé, cher monsieur, si mon Philippe et vos fils s’accordent et deviennent bons camarades ; mais… je ne me trompe pas, ce gamin a quelque chose d’extraordinaire…

— On dirait qu’il est tombé à l’eau…

— Encore une prouesse de mon étourneau ! Halte-là ! maladroit ; d’où sors-tu dans ce piteux état ? »

Philippe n’était pas précisément à son aise pour répondre en présence de ses nouveaux amis ; enfin, la vanité l’emportant, il prit un air délibéré :

« Ce n’est pas ma faute, père ; ma bicyclette a tourné en buttant contre un arbre et m’a entraîné dans une petite rivière qui se trouve là-bas ; mais je m’en suis tiré tout de suite.

— Tu auras lâché le guidon, ou perdu la tête.

— Pas du tout ; je la dirigeais fort bien, quand elle est partie tout de travers.

— Allons donc, c’est impossible !… Qu’est-ce que cette rivière ? » demanda l’architecte aux autres garçons.

M. Brial prit la parole :

« Il s’agit sans doute de la Foux-aux-Roses, le petit cours d’eau qui borne ma propriété à l’est ; et la route qui longe la rive offre une pente dangereuse pour un vélocipède.

— Oh ! monsieur, il y aurait peut-être du danger pour un débutant, répartit Philippe avec dignité ; mais pour moi…

— Vraiment !… Je serais fort aise d’apprendre la différence que tu fais entre un débutant et un garçon qui, comme toi, se sert d’une bicyclette depuis moins d’un mois. »

Norbert lut un certain mécontentement dans le regard que M. Jouvenet attachait sur son fils en prononçant ces mots.

« Du reste, ajouta-t-il, si tu crois que ta machine est seule cause de l’accident, nous la mettrons de côté et je t’interdirai de t’en servir.

— Je ne dis pas cela », balbutia Philippe, perdant un peu de son aplomb.

M. Brial, qui le considérait en riant, voulut venir à son secours.

« Où donc est-elle, cette fameuse machine ? demanda-t-il.

— Elle est tombée dans l’eau en même temps que moi, et une petite fille l’a tirée sur l’autre bord. »

Jacques interrompit avec animation :

« C’est Irène, père, c’est Irène qui, pour nous jouer un mauvais tour, nous a volé la bicyclette, et puis elle s’est sauvée.

— Silence ! enfant. Volé est un bien gros mot dans ta bouche, lorsque tu parles d’une personne de notre famille… Rassurez-vous, cher monsieur, ajouta M. Brial, en quittant le ton sévère qu’il avait pris, je vous indiquerai l’adresse de Mlle  Dorothée Lissac ; c’est chez elle que vous pourrez faire réclamer le vélo de Philippe. »

La petite troupe se remit en marche, et l’on se quitta devant les Myrtes, où Philippe rentrait moins fringant qu’il n’en était sorti.