Page:Magasin d'Éducation et de Récréation, Tome XIII, 1901.pdf/49

Cette page a été validée par deux contributeurs.
48
A. MOUANS

mêmes, n’en étaient pas exempts, car ils considéraient ces taches comme signes de mauvais augure ; aussi s’abstenaient-ils naturellement de se nourrir de ces plantes suspectes. Certains disciples de Pythagore s’en abstenaient aussi, mais pour un motif bien plus absurde encore, puisqu’ils croyaient que ces taches noires servaient d’asiles aux âmes mortes ! — Pas forts, ces pythagoriciens, pas plus que ces flamines !

Les Perses, les Égyptiens, les Grecs et les Romains avaient l’esprit plus large ; ils faisaient une grande consommation de ce légume et le grand Pline déclarait à qui voulait l’entendre que la fève est « la meilleure de toutes les légumineuses ».


Pomme de terre, tomate, aubergine.


La pomme de terre ou morelle tubéreuse, dont nous avons déjà raconté l’histoire, ici même, dans l’une de nos monographies précédentes, a le malheur d’appartenir à l’une des familles les plus mal famées qui soient au monde — monde végétal, cela va sans dire.

Hélas ! oui, c’est aux solanées qu’elle appartient, solanées livides, suspectes, empoisonneuses, et quoi qu’elle en dise et quoi qu’elle fasse et malgré toutes ses vertus… culinaires, elle n’en a pas moins pour sœurs et pour frères, la belladone, la jusquiame, la mondragon et le datura — sans compter le tabac qui, certes, ne vaut pas mieux. Ah ! les scélérates !

Hâtons-nous toutefois d’ajouter que la pomme de terre est bien faite pour rehausser dans l’estime publique la famille entière des solanées. Ce tubercule, si riche en fécule nourrissante, et qui, pour le dire en passant, n’appartient pas à la racine, ainsi qu’on le croit généralement, mais bien à la tige souterraine sur laquelle il forme comme une sorte de loupe féculente, est aujourd’hui connu du monde entier. Il donne, sans beaucoup de frais, un aliment agréable et sain et pourrait remplacer le pain lui-même si, outre le sucre et l’alcool que les chimistes tirent de sa fécule, il renfermait également du gluten.

Éd Grimard.

(La suite prochainement.)


LA FOUX-AUX-ROSES

Par A. MOUANS

CHAPITRE II


Pendant ce temps les deux garçonnets sans ralentir le pas avaient gravi à demi la pente douce du coteau où s’élevaient la « Villa-des-Myrtes » et sa voisine « Beau-Soleil ».

« Veux-tu traverser le champ des Rosiers ? demanda Norbert en montrant la pièce de terre qui bordait la maison et le jardin de M. Brial.

— Pour déchirer nos habits et nous égratigner les mains ? Quelle drôle d’idée ! Tu n’aimes donc plus notre jolie route entre le champ et la Foux aux Roses[1]  ?

— Si fait…

— Alors, insista Jacques devenant malicieux, tu as peur de cousine Dorothée depuis qu’elle a voulu nous empêcher de faire naviguer nos petits bateaux sur la Foux ? »

Le visage de Norbert se colora :

« Je ne suis pas un capon, dit-il sèchement, mais tu comprends bien que des enfants de notre âge ne peuvent pas se mettre en colère contre une vieille demoiselle ou lui dire des choses désagréables.

— Et Irène… faut-il aussi des gants pour lui parler ? »

Son frère ne répondant que par un haussement d’épaules, Jacques insista :

« As-tu remarqué qu’elle a toujours l’air de se moquer de nous quand elle nous regarde

  1. Source formant une petite rivière.