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JULES VERNE

jusqu’au dernier s’ils n’avaient été qu’en petit nombre. Le jour n’aurait plus éclairé qu’un amoncellement d’énormes cadavres au pied des tamarins. Mais trois cents, cinq cents, un millier de ces animaux !... Est-il donc rare de rencontrer de pareilles agglomérations dans les contrées de l’Afrique équatoriale, et les voyageurs, les trafiquants, ne parlent-ils pas d’immenses plaines que couvrent à perte de vue les ruminants de toute sorte ?... « Cela se complique... observa John Cort. — On peut même dire que cela se corse ! » ajouta Max Huber, Puis, s’adressant au jeune indigène achevalé près de lui : « Tu n’as pas peur ?... demanda-t-il. — Non, mon ami Max... avec vous..., non ! » répondit Llanga. Et, cependant, il était permis non seule­ ment à un enfant, à des.hommes aussi de se sentir le cœur envahi d’une irrésistible épou­ vante. En effet, nul doute que les éléphants n’eussent aperçu, entre les branches des tamarins, ce qui restait du personnel de la caravane. Et, alors, les derniers rangs poussant les premiers, le cercle se rétrécit autour du tertre. Une douzaine d’animaux essayèrent d’accro­ cher les basses branches avec leurs trompes en se dressant sur les pattes de derrière. Par bonne chance, à cette hauteur d’une tren­ taine de pieds, ils ne purent y réussir. Quatre coups de carabine éclatèrent simul­ tanément, — quatre coups tirés au juger, car il était impossible de viser juste au milieu de l’obscurité très profonde sous la ramure des tamarins. Des cris plus violents, des hurlements plus furieux, se firent entendre. Il ne sembla pas, pourtant, qu’aucun éléphant eût été mortelle­ ment atteint par les balles. Et, d’ailleurs, quatre de moins, cela n’eût pas compté ! Aussi, ce ne fut plus aux branches infé­ rieures que les trompes essayèrent de s’en­ rouler. Elles entourèrent le fût des arbres en même temps que ceux-ci subissaient la pous­ sée puissante des corps. Et, de fait, si gros

que fussent ces tamarins à leur base, si soli­ dement que leurs racines eussent mordu le sol, ils éprouvèrent un ébranlement auquel, sans doute, ils ne pourraient résister. Des coups de feu retentirent encore — deux cette fois — tirés par le Portugais et le fore­ loper, dont l’arbre secoué avec une extra­ ordinaire violence, les menaçait d’une chute prochaine. Le Français et son compagnon, eux, n’avaient point déchargé leurs carabines, bien qu’ils fussent prêts à le faire. « A quoi bon ?... avait dit John Cort. — Oui, réservons nos munitions, répondit Max Huber. Plus tard, nous pourrions nous repentir d’avoir brûlé ici notre dernière car­ touche ! » En attendant, le tamarin auquel étaient suspendus Urdax et Khamis fut tellement ébranlé qu’on l’entendit craquer sur toute sa longueur. Évidemment, s’il n’était pas déraciné, il se briserait. Les éléphants l’atta­ quaient à coups de défenses, le courbaient avec leurs trompes, l’ébranlaient jusque dans ses racines. Rester plus longtemps sur cet arbre, ne fût-ce qu’une minute, c’était risquer de s’abattre au pied <ju tertre : « Venez ! » cria le foreloper à Urdax, essayant de gagner l’arbre voisin. Le Portugais avait perdu la tête et conti­ nuait à décharger inutilement sa carabine et ses revolvers, dont les balles glissaient sur les peaux rugueuses des pachydermes comme sur une carapace d’alligators. « Venez !... » répéta Khamis. Et au moment où le tamarin était secoué avec plus de violence, le foreloper parvint à saisir une des branches de l’arbre occupé par Max Huber, John Cort et Llanga, moins compromis que l’autre, contre lequel s’achar­ naient les animaux : « Urdax ?... cria John Cort. — Il n’a pas voulu me suivre, répondit le foreloper, il ne sait plus ce qu’il fait !... — Le malheureux va tomber ... — Nous ne pouvons le laisser là !... dit Max Huber.