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LA GRANDE FORÊT faire dans son impuissance à retenir l’impa­ tient Français. Bref, ne voulant pas le laisser s’aventurer seul, il se disposait à l’accompa­ gner jusqu’à la lisière du massif, bien que, à son avis, ce fût une impardonnable témérité. Soudain, il fit halte, à l’instant même où Max Huber et Llanga venaient de s’arrêter. Tous trois se retournèrent, dos à la foret. Ce n’étaient plus les clartés qui attiraient leur attention. D’ailleurs, comme au souffle d’un subit ouragan, les torches venaient de s’étein­ dre, et d’épaisses ténèbres enveloppaient l’horizon. Du côté opposé, une rumeur lointaine se propageait à travers l’espace, ou plutôt un concert de mugissements prolongés, de ron­ flements nasards, à faire croire qu’un orgue gigantesque lançait ses puissantes ondes à la surface de la plaine. Était-ce un orage qui montait sur cette partie du ciel, et dont les premiers grondements troublaient l’atmosphère ?... Non !... On l’a dit, on le répète, il ne se produisait aucun de ces météores, qui dé­ solent si souvent l’Afrique équinoxiale d’un

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littoral à l’autre. Ces meuglements carac­ téristiques trahissaient leur origine animale, et ne provenaient pas d’une répercussion des décharges de la foudre échangées dans les profondeurs du ciel. Ils devaient sortir plutôt de gueules formidables, non de nuages électriques. Au surplus, les basses zones ne se zébraient point de ces fulgurants zigzags qui se succèdent à courts intervalles. Pas un éclair au-dessus de l’horizon du nord, aussi sombre que l’était actuellement l’horizon du sud. A travers les nues accumulées en cette direction, pas un trait de feu entre ces cirrus, empilés comme des ballots de vapeurs. « Qu’est-ce cela, Khamis ?... demanda Max Huber. — Au campement... répondit le foreloper. — Serait-ce donc ?... » s’écria Marc Huber. Et, l’oreille tendue dans cette direction, il percevait un claironnement plus distinct, strident parfois comme un sifflet de locomotive au milieu des larges rumeurs qui grandis­ saient en se rapprochant. « Pas un instant à perdre, dit le foreloper, et au pas de course ! »

III Dispersion.

Max Huber, Llanga et Khamis ne mirent pas dix minutes à franchir les quinze cents mètres qui les séparaient du tertre des tama­ rins. Ils ne s’étaient pas même retournés une seule fois, ne s’inquiétant pas d’observer si les indigènes, après avoir éteint leurs feux, cher­ chaient à les poursuivre. Non d’ailleurs, et, de ce côté, régnait le calme, alors que, à l’opposé, la plaine s’emplissait d’une agitation confuse et de sonorités éclatantes. Le campement, lorsque les deux hommes et le jeune enfant y arrivèrent, était en proie à l’épouvante, — épouvante justifiée par la menace d’un danger contre lequel le courage, l’intelligence ne pouvaient rien. Y faire face, impossible ! — Le fuir ?... En était-il temps encore ?... Max Huber et Khamis avaient aussitôt re­ joint John Cort et Urdax, postés à cinquante pas en avant du tertre.

« Une harde d’éléphants !... s’écria le fore­ loper. — Oui, répondit le Portugais, et dans un quart d’heure, ils seront sur nous... — Gagnons la forêt, dit John Cort. — Ce n’est pas la forêt qui les arrêtera... répliqua Khamis. — Et les indigènes ?... s’informa John Cort. — Nous n’avons pu les apercevoir, ré­ pondit Max Huber. — Cependant, ils ne doivent pas avoir quitté la forêt ! — Assurément non ! » Au loin, à une demi-lieue environ, on dis­ tinguait une large ondulation d’ombres qui se déplaçait sur l’étendue d’une centaine de toises. Oui ! c’était comme une énorme vague dont les volutes échevelées se fussent dé­ roulées avec fracas. Un lourd piétinement se propageait à travers la couche élastique du