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À LA RIVIÈRE

Mlle Dorothée, elle poursuivit en cheminant de nouveau :

« Quant à cette chose que tu nommes « ma bonne humeur », je l’ai aussi laissée près de la Foux… avec ton parasol…

— Quelle sottise me débites-tu là !…

— C’est la vérité, tante ; je crois que je n’aurai plus envie de chanter, ni de rire ou de babiller, tant que Norbert ne pourra pas venir chez nous, tant que tu me défendras d’aller à Beau-Soleil. Malgré moi, je réfléchis ; je me creuse la tête pour chercher où peut être cette vilaine clef qui cause tout le mal… Oh ! tu as beau froncer les sourcils, tante, ce n’est pas nous qui l’avons prise. »

Mlle Dorothée garda le silence. Depuis que son premier mouvement de colère était apaisé, elle se disait qu’Irène ne mentait jamais et que Norbert lui avait donné plus d’une preuve de sa franchise.

« Tu es encore plus rouge que tout à l’heure, reprit Irène qui la regardait de coin.

— Je le sais bien, ma fille ; sans capeline ni ombrelle, par ce soleil, on n’est guère à son aise.

— Allons reprendre ton parasol ; nous aurons de l’ombre dans le bois d’orangers… et, qui sait, en cherchant mieux qu’hier, je vais peut-être retrouver la clef.

— Allons ! » approuva d’assez bonne grâce Mlle Lissac.

Sous l’ombrage embaumé, la tante et la nièce avançaient plus rapidement. Lorsqu’elles ne furent qu’à une petite distance du pont, Irène courut en avant. Soudain elle leva les bras, et, dans une pantomime animée, fit signe à sa tante d’approcher sans bruit.

« Qu’y a-t-il ? gronda tout bas Mlle Lissac en hâtant le pas ; encore une idée de travers !… Ah !… »

À son tour, elle venait de s’arrêter, pétrifiée par le spectacle invraisemblable qui s’offrait à elle : le gros Jacques, ses pantalons retroussés, les manches de sa chemise laissant voir ses bras nus, était entré jusqu’aux genoux dans les eaux de la source, peu profonde à cette époque, et paraissait occupé à une besogne dont l’importance l’absorbait ; il n’entendit pas le rire étouffé d’Irène. Presque courbé en deux au-dessus du courant limpide, on eût dit qu’il comptait les cailloux du fond ; puis, maniant à deux mains un long objet, il fouillait avec précaution entre chaque pierre. D’un seul coup d’œil, la tante Dor comprit le désastre. Cette chose jaunâtre, trempée, lamentable, que l’enfant sans pitié plongeait et replongeait, c’était le parasol café au lait !

Au cri d’horreur qu’elle poussa, Jacques, qui tournait le dos, fit volte-face et présenta son visage consterné tout juste pour recevoir les apostrophes furibondes que méritait son audace.

« Ceci passe les bornes ! grondait Mlle Dorothée de sa plus grosse voix ; on ne se contente plus de me voler le bord de ma rivière, de s’y pavaner malgré ma défense ; on prend possession de l’eau elle-même !… Et pour quoi faire, bon Diou ?… pour se donner le malin plaisir de détruire mon pauvre parasol fraîchement réparé !… Enfant sans cœur, qu’est-ce que cela signifie ?… Parleras-tu ?… »

Jacques, nous le savons, ne possédait pas la hardiesse de son frère. Il taquinait Irène parce que celle-ci répondait gentiment sans le faire punir ; il déclamait bien aussi contre sa terrible cousine… quand elle n’était pas là. À présent, pour lui répondre en face, il prit un air penaud et murmura humblement :

« Ne vous fâchez pas, cousine ; je vais sortir de la Foux aussitôt que j’aurai trouvé… ce que je cherche… Quant à l’ombrelle, je ne l’ai qu’un peu mouillée ; voyez vous-même, elle n’a rien de cassé ! »

Joignant l’action à la parole, il ouvrit au-dessus de sa tête le triste parasol, qui avait en cet instant toutes les qualités d’un bon arrosoir.

Malgré son mécontentement, le spectacle du petit bonhomme, dans ce ridicule appareil, eut raison de la gravité de la tante Dor. Quant à Irène, elle avait positivement recouvré sa belle humeur près de la Foux. Oubliant sa résolution de ne plus rire avant que Norbert fut revenu à la bastide, des éclats