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J. LERMONT

EN FINLANDE

(SOUVENIRS D’UNE JEUNE FILLE)

Une, deux, une, deux, nous marquons le pas. Nous ne nous sommes pas mises en frais de toilette, nous n’avons pas fait de coquetterie. Nous avons uniquement pensé à nous mettre dans de bonnes conditions hygiéniques : vêtements flottants et légers, chaussures parfaites ne gênant ni ne serrant le pied dans son bas de laine. Ainsi accoutrées, nous pouvons marcher, sûres de n’être pas arrêtées par le premier caillou trop pointu ou la première ampoule. Notre sac ne contient qu’un peu de linge, facile à faire laver en route.

Quelle joie de cheminer avec de gaies compagnes ! Le ciel est si bleu, l’atmosphère si pure, notre cœur si content. Le joli voyage, fécond en incidents menus, en impressions variées. Les couchers de soleil sont des ravissements sans fin, les crépuscules ou les aurores, des extases. Foin des voitures, des chevaux, des bicyclettes ou des chemins de fer ! Nous sommes libres comme l’air. Nous nous arrêtons à cueillir une fleur, nous jouissons à notre aise des points de vue que les voyageurs pressés n’entrevoient que dans un éclair, nous fixons pour toujours en notre esprit des souvenirs, des paysages.

Comme délassement, nous prenons dans la journée un bain froid ; toutes, nous savons nager, et c’est un plaisir, comme un repos. Le soir, encore un bain, mais chaud, dans l’endroit où nous couchons. Il n’est si petite ferme qui n’ait son étuve, et si pauvre paysan qui ne prenne, été comme hiver, des bains de vapeur, au moyen d’eau versée sur une pierre chauffée à blanc.

Comme nourriture, nous ne sommes pas exigeantes. Du lait, du pain, du beurre, parfois du poisson ; nous trouvons partout des hôtes. Les auberges ne nous tentent pas. Une ferme est plus attrayante et moins coûteuse, et les paysans sont enchantés de nous recevoir. La nuit, nous couchons de préférence dans une grange aux senteurs exquises de foin coupé. Il y fait moins chaud et les mouches ne viennent pas nous y taquiner. Impossible de voyager d’une manière plus économique. Nos repas nous coûtent de vingt-cinq à trente centimes par personne, et un franc suffit amplement à payer toute notre dépense quotidienne.

Ainsi nous allions par monts, par vaux et par forêts, côtoyant nos lacs grands et petits, suivant les cours d’eau, consultant et notre carte et les paysans, sur notre route, et chaque journée de marche nous rendait plus heureuses d’avoir pu ensemble accomplir ce joli voyage. Nous allions, sans abréger notre course par des traversées en bateau, afin de pouvoir admirer lacs et rivières sous tous leurs aspects. Qu’elle est belle notre patrie et que nous l’aimons !…

Punkaharju est un des endroits les plus fréquentés de la Finlande. Tous les touristes tiennent à venir l’admirer. C’est une presqu’île qui s’avance dans le lac de Saïmen et le partage comme un ruban d’émeraude en deux lacs distincts. Cette presqu’île a, à peu près, quatre kilomètres de longueur, mais elle est d’une telle étroitesse que, dans certaines places, les eaux qui baignent les deux rives semblent, à une petite distance, se confondre, si mince est la bande de terre qui les sépare.

Ce fut pour nous, malgré notre jeunesse, un enchantement que cette vision. À chaque instant nous nous arrêtions, émues à en avoir les larmes aux yeux, exprimant notre enthousiasme par des paroles entrecoupées ou des silences plus éloquents.

Hélène tremblait un peu, mais nous la rassurâmes en lui montrant les solides barrières de pierre qui contiennent les vagues et les empêchent d’inonder la route qui conduit à l’extrémité de la presqu’île. De majestueux sapins, plus sombres encore par le contraste