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JULES VERNE

Quanta Khamis, peu soucieux de se mêler à tout ce monde inférieur, il « resta seul à la maison ». 11 s’occupa de ranger les ustensiles, de veiller à la préparation du repas, de net­ toyer les armes à feu. Ne convenait-il pas d’être prêt à toute éventualité, et l’heure approchait peut-être où il serait nécessaire d’en faire usage. John Cort et Max lluber se laissèrent donc guider par Lo-Maï à travers le village plein d’animation. Il n’existait pas de rues, au vrai sens de ce mot. Les pailloitcs, distribuées à la fantaisie de chacun, se conformaient à la disposition des arbres ou plutôt des cimes qui les abritaient. La foule était assez compacte. Au moins, un millier de Wagddis se dirigeaient vers la par­ tie de Ngala à l’extrémité de laquelle s’élevait la case royale. « 11 est impossible de ressembler davantage à une foule humaine ! remarqua John Cort. Mêmes mouvements, même manière de témoi­ gner sa satisfaction par les gestes, par les cris. — Et par les grimaces, ajouta Max Huber, et c’est ce qui rattache ces primitifs aux qua­ drumanes ! » En effet, les Wagddis, d’ordinaire sérieux, réservés, peu communicatifs, ne s’étaient jamais montrés si expansifs ni si grimaçants. Et toujours cette inexplicable indifférence en­ vers les etrangers, auxquels ils ne semblaient prêter aucune attention — attention qui eût été gênante et obsédante chez les Danka, les Monbouttous et autres peuplades africaines. Cela n’était pas très « humain » ! Après une longue promenade, Max Huber et John Cort arrivèrent sur la place principale de Ngala que bornaient les ramures des der­ niers arbres du côté de l’ouest, et dont les branches verdoyantes retombaient autour du palais royal. En avant étaient rangés les guerriers, toutes* armes dehors, vêtus de peaux d’antilope ratta­ chées par de fines lianes, le chef coiffé de têtes de steinbocks dont les cornes leur donnaient l’apparence d’un troupeau. Quant au « colonel » Raggi, casqué d’une tête de buffle, l’arc sur l’épaule, la hachette à la ceinture, l’épieu à la

main, il paradait devant l’armée wagddienne. « Probablement, dit John Cort, le souverain s’apprête à passer la revue de ses troupes... — Et, s’il ne vient pas, repartit Marc Huber, c’est qu’il ne se laisse jamais voir à ses fidèles sujets !... On ne se figure pas ce que l’invisibilité donne de prestige à un mo­ narque, et peut-être celui-ci... » S’adressant à Lo-Maï, dont il se fit com­ prendre par un geste : « Mselo Tala-Tala doit-il sortir ?... » Signe affirmatif de Lo-Maï, qui sembla dire : « Plus tard... plus tard... — Peu importe, répliqua Max Huber, pourvu qu’il nous soit permis de contempler enfin sa face auguste... — Et en attendant, répondit John Cort, ne perdons rien de ce spectacle. » Voici ce que tous deux furent à même d’ob­ server de plus curieux : Le centre de la place, entièrement dégagé d’arbres, restait libre sur un espace d’un demihectare. La foule l’emplissait dans le but, sans doute, de prendre part à la fête jusqu’au moment où le souverain paraîtrait sur le seuil de son palais. Se prosternerait-elle devant lui à ce moment ?... Se confondrait-elle en adora­ tions ?... « Après tout, fit remarquer John Cort, il n’v aurait pas à tenir compte de ces adorations au point de vue de la religiosité, car, en somme, elles ne s’adresseraient qu’à un homme... — A moins, répliqua Max Huber, que cet homme soit en bois, ou en pierre... Si ce po­ tentat n’est qu’une idole du genre de celles que révèrent les naturels de la Polynésie... — Dans ce cas, mon cher Max, il ne manque­ rait plus rien aux habitants de Ngala de ce qui achève de compléter l’être humain .. Ils auraient le droit d’être classés parmi les hommes tout autant que ces naturels dont vous parlez... — En admettant que ceux-ci méritent de l’être !... répondit Max Huber, d’un ton assez peu flatteur pour la race polynésienne. — Certes, ils le sont, Max, puisqu’ils croient à l’existence d’une divinité quelconque, et jamais il n’est venu ni ne viendra à per­ sonne l’idée de les classer parmi les animaux,