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LA GRANDE FORÊT

avaient eu des rapports avec les tribus de l’Oubanghi — ne fût-ce qu’avec un Congolais qui ne serait jamais revenu au Congo ?... Hypothèse assez plausible, on en conviendra. Et puis, quelques mots d’origine allemande s’échappaient parfois des lèvres de Lo-Maï, toujours si incorrectement prononcés qu’on avait peine à les reconnaître. Or, c’était là un point que John Cort tenait pour absolument inexplicable. En effet, à sup­ poser que les indigènes et les Wagddis sc fussent rencontrés déjà, était-il admissible que ces derniers eussent eu des relations avec les Allemands du Cameroun ?... Dans ce cas, l’Américain et le Français n’auraient pas eu les prémices de cette découverte. Bien que John Cort parlât assez couramment la langue allemande, il n’avait jamais eu l’occasion de s’en servir, puisque Lo-Maï n’en connaissait que deux ou trois mots. Entre autres locutions empruntées aux indi­ gènes, celle de Mselo-Tala-Tala, qui s’appli­ quait au souverain de cette tribu, était la plus souvent employée. On sait quel désir d’ètrc reçus par cette Majesté invisible éprouvaient les deux amis. 11 est vrai, toutes les fois qu’ils prononçaient ces trois mots, Lo-Maï baissait la tête en marque de profond respect. En outre, lorsque leur promenade les amenait devant la case royale, s’ils manifestaient l’intention d’y pénétrer, Lo-Maï les arrêtait brusquement, les poussait de côté, les entraî­ nait à droite ou à gauche. 11 leur faisait com­ prendre à sa manière que nul n’avait le droit de franchir le seuil de la demeure sacrée. Or, il arriva que, dans cet après-midi, un peu avant trois heures, le ngoro, la ngora et le petit vinrent trouver Khamis et ses compa­ gnons. Et, tout d’abord, il y eut à remarquer que la famille s’était parée de scs plus beaux vêtements — le père, coiffé d’un couvre-chef à plumes, drapé dans son manteau d’écorce, — la mère, enjuponnée de cette étoffe d’agoulie de fabrication wagddienne, quelques feuilles vertes dans les cheveux, au cou un chapelet de verroteries et de menues ferrailles, — l’enfant, un léger pagne ceint à sa taille —

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« ses habits du dimanche », dit Max Huber. Et, en les voyant si « endimanchés », tous troi j : « Qu’est-ce que cela signifie ?... s’écria-t-il. Ont-ils eu la pensée de nous faire une visite officielle ?... — C’est sans doute jour de fête, répondit John Cort. S’agit-il donc de fêter un Dieu quelconque ?... Ce serait le point intéressant qui résoudrait la question de religiosité... » Avant qu’il eût achevé sa phrase, ces mots de Lo-Maï venaient comme une réponse : « Mselo-Tala-Tala... — Le père aux lunettes ! » traduisit Max Huber. Et il sortit de la case avec l’idée que le roi des Wagddis passait en ce moment. Complète désillusion, Max Huber n’entrevit pas même l’ombre de Sa Majesté ! Toutefois, il fallait bien constater que Ngala était en mou­ vement. De toutes parts affluait une foule aussi joyeuse, aussi parée que la famille Mai. Grand concours de populaire, les uns suivant processionnellement les rues vers l’extrémité ouest du village, ceux-ci se tenant par la main comme des paysans en goguette, ceux-là cabriolant comme des singes d’un arbre à l’autre. « Il y a quelque chose de nouveau... déclara John Cort, en s’arrêtant sur le seuil de la case. — On va voir », répliqua Max Huber. Et, revenant à Lo-Maï : « Mselo-Tala-Tala ?... répéta-t-il. — Mselo-Tala-Tala ! » répondit Lo-Maï en croisant ses bras, tandis qu’il inclinait la tête. John Cort et Max Huber furent conduits à penser que la population wagddienne allait saluer son souverain, lequel ne tarderait pas à apparaître dans toute sa gloire. Eux, John Cort, Max Huber, n’avaient pas d’habits de cérémonie à mettre. Ils en étaient réduits à leur unique costume de chasse, bien usé, bien sali, à leur linge qu’ils tenaient aussi propre que possible. Par conséquent, aucune toilette à faire en l’honneur de Sa Ma­ jesté, et, comme la famille Mai sortait de la case, ils la suivirent avec Llanga.