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J. VERNE

dans le voisinage. Après des absences qui duraient deux ou trois jours, ils revenaient, quelques-uns blessés, rapportant des objets divers, ustensiles ou armes d’origine wagddienne. A plusieurs reprises, des tentatives furent faites par le foreloper pour sortir du village. Ces tentatives furent infructueuses. Les guer­ riers qui gardaient l’escalier intervinrent avec une certaine violence. Une fois surtout, Khamis aurait été fort maltraité, si Lo-Maï, que la scène attira, ne fût accouru à son secours. Il y eut, d’ailleurs, forte discussion entre ce dernier et un solide gaillard, auquel on donnait le nom de Raggi. Au costume de peau qu’il portait, aux armes qui pendaient à sa ceinture, aux plumes qui ornaient sa tête, il y avait lieu de croire que ce Raggi devait être le chef des guerriers. Rien qu’à son air farouche, à scs gestes impérieux, à sa bru­ talité naturelle, on le sentait fait pour le commandement.

A la suite de ces tentatives, les deux amis avaient espéré qu’ils seraient envoyés devant Sa Majesté, et qu’ils verraient enfin ce roi que ses sujets cachaient avec un soin jaloux au fond de la demeure royale... 11 n’en fut rien. Probablement, Raggi avait tout pouvoir, et mieux valait ne point s’exposer à sa colère en recommençant. Les chances d’évasion étaient donc bien réduites, à moins que les Wagddis, s’ils attaquaient quelque village voisin, ne fussent attaqués à leur tour, et, à la faveur d’une agression, qu’il fût possible de quitter Ngala... Mais après, que devenir ? Au surplus, le village ne fut point menacé pendant ces premières semaines, si ce n’est par certains animaux que Khamis et ses compagnons n’avaient pas encore rencontrés dans la grande forêt. Si les Wagddis passaient leur existence à Ngala, s’ils y rentraient la nuit venue, ils possédaient cependant quel­ ques huttes sur les bords du rio. On eût dit d’un petit port fluvial où se réunissaient les embarcations de pèche, qu’ils avaient à dé­ fendre contre les hippopotames, les lamantins, les crocodiles en assez grand nombre dans les eaux africaines.

Un jour, à la date du 9 avril, un violent tumulte se produisit. Des cris retentissaient dans la direction du rio. Était-ce une attaque dirigée contre les Wagddis par des êtres semblables à eux ?... Sans doute, grâce à sa situation, le village était à l’abri d’une inva­ sion. Mais à supposer que le feu fût mis aux arbres qui le soutenaient, sa destruction eût été l’affaire de quelques heures. Or, les moyens que ces primitifs avaient peut-être employés contre leurs voisins, il n’était pas impossible que ceux-ci n’essayassent de les employer contre eux.

Dès les premiers cris, Raggi et une tren­ taine de guerriers, se portant vers l’escalier, le descendirent avec une rapidité simiesque. John Cort, Max lluber et Khamis, guidés par Lo-Maï, gagnèrent le côté du village d’où l’on apercevait le cours d’eau.

Une bande, non pas d’hippopotames, mais de chéropotames ou plutôt de potamochères, qui sont plus particulièrement les cochons de fleuve, venaient de s’élancer hors de la futaie et brisaient tout sur leur passage. Ces potamochères, que les Boers appellent bosch-vark, et les Anglais bash-pigs, se ren­ contrent dans la région du cap de BonneEspérance, en Guinée, au Congo, au Came­ roun, et y causent de grands dommages. De moindre taille que le sanglier européen, ils ont le pelage plus soyeux, la robe brunâtre tirant sur l’orange, les oreilles pointues ter­ minées par un pinceau de poils, la crinière noire mêlée de fils blancs, qui leur court le long de l’échine, le grouin développé, la peau soulevée entre le nez et l’œil par une protu­ bérance osseuse chez les mâles. Ces porcins sont redoutables, et ceux-ci l’étaient d’autant plus qu’ils opéraient dans des conditions de supériorité numérique.

En effet, ce jour-là, on en eut bien compté une centaine qui venaient de faire irruption sur la rive gauche du rio. Aussi la plupart des huttes avaient-elles été déjà renversées, lorsque Raggi et sa troupe prirent pied sur le sol.

A travers les branches des derniers arbres, John Cort, Max lluber, Khamis et Llanga