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EN FINLANDE

Irène, en haut du petit mur, son observatoire favori, la main au-dessus de ses yeux, se mit à surveiller le chemin.

« Le vois-tu ? interrogeait à chaque instant la tante Dor, qui se promenait dans le jardin avec de grands gestes d’impatience.

— Non, je ne vois personne.

— Tu te trompes, ma fille, il est certainement près d’ici.

— Mais je t’assure qu’il n’y a pas un chat.

— J’entends des pas…

— C’est Misé Serrât qui traverse tout là-bas pour aller à sa vigne.

— Regarde, ma fille, regarde mieux… il est impossible que ce garçon, le fils d’Honoré, charmant comme son père l’était autrefois…

— Oh ! tante, M. Brial est encore aimable à présent ! interrompit Irène.

— Je ne m’en aperçois guère, puisqu’il maintient ses prétentions sur la Foux ! prononça la vieille demoiselle d’un ton rogue ; mais je me souviens que c’était un enfant poli, qui avait des égards pour les personnes sérieuses, et Norbert doit être de même… Tu le vois venir, hein ?…

— Pas encore. »

Vainement Irène continuait à regarder ; aucun des rares passants dont elle signalait l’approche n’avait la tournure du cousin tant désiré.

Au bout d’une demi-heure, l’humeur de Mlle  Dorothée s’aigrit et ses dispositions changèrent :

« Conçoit-on, s’écriait-elle, qu’un gamin de treize ans se permette de faire attendre une femme de mon âge !… On ne leur enseigne donc plus la politesse aujourd’hui… moi qui m’étais laissé prendre à ses gentilles manières… je suis trop bonne de m’occuper d’un jeune sans-cervelle qui a tout l’air de se moquer de moi. »

La fillette quitta aussitôt son perchoir :

« C’est impossible, tante ; Norbert ne voudrait pas te manquer de respect ; je crois plutôt que sa blessure lui fait mal… trop mal pour qu’il vienne jusqu’ici… L’homme l’a frappé rudement… il peut être malade… Hier, Marie-Louise a vu la voiture du docteur Ortiz qui allait du côté de Beau-Soleil ! »

Mlle  Lissac réfléchit un instant ; à mesure que la petite parlait, son front se chargeait d’inquiétude.

« Tu es stupide avec tes idées ! dit-elle enfin, et je le suis davantage de t’écouter !… Se pourrait-il que je n’aie pas reconnu la gravité de cette blessure, moi que le docteur Ortiz nomme « son cher confrère » !… J’ai tâté le poignet, il n’avait rien de cassé, rien, je l’affirme… pourtant, je finis par craindre comme toi !… Ah ! sans la Foux-aux-Roses, je courrais moi-même à Beau-Soleil porter mon baume !… Quand je pense que le fils d’Honoré souffre pour nous avoir défendues ! »

Pauvre Mlle  Dorothée ! Si fière, si raide d’ordinaire, elle s’était assise, le front incliné, dans une attitude de chagrin qui émut sa petite nièce.

« Veux-tu que j’aille demander pourquoi il n’est pas venu ? offrit celle-ci d’une voix caressante. Je dirai que tu l’attendais avec impatience, que…

— Silence ! fillette, tu me ferais perdre ma réputation de fermeté… Une personne respectable qui s’inquiète des faits et gestes d’un moutard a tout l’air d’un esprit faible !…

— Alors, j’expliquerai seulement que tu veux savoir si Norbert est malade !

— Pas davantage !… »

Irène puisa dans son imagination fertile une douzaine de raisons acceptables pour se présenter chez Mme  Brial, raisons auxquelles sa tante, l’air de plus en plus soucieux, répondit par autant de refus.

« Eh bien ! s’écria résolument la fillette, donne-moi une fiole d’onguent, j’irai la porter pour qu’on soigne la main de Norbert. »

Mlle  Lissac eut un soupir de satisfaction :

« Voilà une meilleure idée, ma fille ; tout le monde trouvera naturel que j’envoie mon remède… surtout aie soin de dire que le docteur en approuve l’emploi. »

Déjà le flacon était enveloppé ; Irène, qui avait couru chercher son chapeau, s’empara du précieux paquet, mit deux baisers sur les joues de sa tante et partit aussitôt.