« Y a-t-il des bonnes gens ici ? Une petite aumône, s’il vous plaît, pour le voyageur ! »
La porte fut poussée brusquement et un homme parut sur le seuil.
De chétive apparence, les membres grêles, les vêtements dépenaillés, il portait une besace sur le dos ; sa main droite tenait un gourdin.
Mlle Lissac s’était levée, et, le toisant :
« Qui vous a permis d’entrer ? Que voulez-vous ? demanda-t-elle.
— Dans mon pays, on entre sans permission, riposta l’homme en riant ; ce que je veux, je viens de vous le dire : une petite aumône ; je n’ai pas mangé ce matin.
— Fillette, donne-lui un gros morceau de pain, cela ne se refuse pas chez nous.
— Du pain… vous voulez rire ; j’en ai dans ma besace, c’est de l’argent qu’il me faut.
— Alors, passez votre chemin, je n’ai rien pour vous.
— Oui-da, c’est facile à dire, mais on ne me renvoie pas comme cela. Où est le maître de la maison ? Je veux lui parler.
— Pour le coup, c’est trop fort ! il n’y a pas d’autre maître que moi et je vous dis que vous allez sortir ! »
Mlle Lissac s’avançait bravement, les bras croisés ; mais elle venait de prononcer des paroles imprudentes.
« Ah ! ah ! vous êtes donc seules ! s’exclama l’homme avec un cri de triomphe, je m’en doutais… pas de danger pour moi alors ! tirez votre bourse ou sinon… »
Il fit deux pas en avant et brandit son gourdin.
« Tante ! donne-lui tout ce qu’il veut, il va te tuer ! » dit Irène épouvantée.
Mlle Dorothée avait saisi dans un coin son parasol café au lait et marchait bravement sur son agresseur ; sa nièce s’élança près d’elle, mais elle couvrit son visage de ses mains pour ne pas voir la redoutable canne que le malfaiteur levait.
Tout à coup la maison s’emplit de bruit : à des jappements furieux se mêlaient des cris et des appels : « À moi ! père ! Au secours !… Raybaud, attrape-le !… par ici ! par ici !… sus, mon bon chien ! mords-le ! »
La petite, regardant malgré elle, vit le vagabond, qui avait roulé à terre, se relever précipitamment et s’enfuir sans prendre le temps de ressaisir son bâton. Déjà il atteignait la barrière, poursuivi par les deux défenseurs arrivés si fort à propos.
Oh ! les aboiements de Morilo ! la voix sonore de Norbert ! Irène les avait reconnus tout de suite.
Lorsque le jeune garçon, escorté de son compagnon à quatre pattes, revint vers la maison, rouge et haletant, elle se précipita au-devant de lui :
« Norbert ! mon cher Norbert, merci ! ce méchant homme allait nous tuer !… »
Quant à Mlle Lissac, encore armée de son ombrelle brisée, ses traits sévères portaient les traces d’une vive émotion :
« Touche là, mon brave enfant, dit-elle en tendant la main au jeune garçon ; bien qu’une grande querelle divise notre famille, je ne refuse pas de reconnaître le service que tu viens de me rendre ! je suis fière de toi ; car, enfin, ce coquin ne craignait guère mon pauvre parasol ; la victoire te revient de droit… oh ! oh ! qu’est ceci ?… »
Elle venait de s’apercevoir que de sa main droite Norbert soutenait son poignet gauche avec un geste de souffrance.
« Je crois que l’homme m’a blessé en m’en voyant un coup de son soulier, répondit-il. Voyez, cousine ! »
Il montra son poignet bleui et gonflé que traversait, comme un trait sanglant, la marque de la chaussure ferrée. Les mains sèches de la tante Dor se mirent à palper anxieusement le membre endolori, pendant qu’elle exhalait son indignation :
« Le misérable ! blesser un enfant qui montre tant de courage !… n’est-ce pas abominable !… Irène, petite sotte, rends-toi utile au lieu de pleurer. Ton cousin n’a pas le bras cassé, mais il faut le soigner… Vite, ma boîte aux onguents et la corbeille au vieux linge ! »
Assise près de la table qu’elle a couverte en un clin d’œil de bandes de toile et de fioles, Mlle Dorothée commence le pansement. Norbert veut supporter la douleur sans faiblesse.