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J. DE COULOMB

tout ce petit monde, en dépit de la misère, du pain dur, de la cheminée sans feu, l’hiver, avait poussé à miracle ; jamais on n’avait vu d’enfants plus forts ni mieux portants !…

Un à un, ils avaient quitté le nid paternel, comme les petits des hirondelles, lorsque les ailes leur sont venues : les trois aînés payaient leur dette à l’État ; les trois cadets servaient déjà comme mousses. Salvador restait seul au logis !

Le papa de Salvador était pêcheur : il faisait partie de l’équipage de la grande chaloupe « thonière », la Sainte-Marie, dont le patron n’était pas commode tous les jours… Mais que voulez-vous ?… Il fallait bien que Joannès Harboure le supportât, puisqu’il était trop pauvre pour avoir un bateau à lui !…

La maman de Salvador tenait un tout petit commerce d’épicerie et, tant bien que mal, on vivotait ainsi, depuis le premier de l’an jusqu’à la Saint-Sylvestre, dans la vieille maison des Harboure, située à mi-côte de la ruelle empierrée qui grimpe au cimetière.

Le jour où commence cette histoire était un jeudi de la fin de septembre. Les écoliers avaient congé, mais non les pêcheurs qui ne connaissent pas de chômages, en dehors des grandes fêtes carillonnées et des jours de gros temps où les chaloupes ne peuvent sortir.

Le papa de Salvador était donc à son poste, bien loin au large, à pêcher le thon.

Mme Harboure avait dû aller à Bayonne, où il y avait marché, pour y faire quelques acquisitions nécessaires. On ne l’attendait qu’au dernier train. En son absence, une cousine complaisante avait promis de surveiller la petite boutique.

Salvador avait été livré à lui-même, et j’ai le regret d’être obligé de dire qu’il avait terriblement polissonné toute la journée avec les mauvais garnements du pays !…

Le matin, ils avaient regardé pêcher les vieux marins qui demeurent immobiles des heures entières, les yeux fixés sur leur flotteur, une pipe courte au coin de la bouche.

Ils avaient couru le long du garde-fou de pierre, qui borde le port, comme des loups de mer sur le bastingage des grands navires.

A marée basse, ils avaient fait de magnifiques ricochets sur la baie aussi unie qu’un lac.

À deux heures, ils avaient surpris un peintre dans un chemin creux et ils s’étaient entassés sur ses épaules avec des chuchotements admiratifs.

Tout cela encore n’était rien auprès de la distraction inattendue qu’ils avaient eu la bonne fortune de rencontrer sur le coup de cinq heures.

Nos gamins se trouvaient à ce moment au Socoa, le village de pêcheurs blotti au pied du vieux fort crénelé qui gardait jadis l’entrée de la baie de Saint-Jean-de-Luz.

Ils venaient de flâner longuement au milieu des ancres rouillées et des chaudières rouges, percées de trous où il est si amusant de se cacher lorsque le contremaître de l’usine a le dos tourné.

Ils avaient respiré à pleins poumons la brise de mer où flottaient des senteurs de varech mêlées à la bonne odeur saine du goudron et aux émanations, moins agréables, des chiens de mer corrompus, dont les peaux séchaient sur des cordes, semblables à des suroîts d’enfants.

Ils croyaient avoir épuisé toutes les ressources de l’endroit lorsqu’ils étaient tombés sur le déchargement d’un bateau qui apportait du charbon au petit garde-côte de l’État, une jolie goélette dont la coque blanche, cerclée d’or, était si pimpante qu’on eût dit, lorsqu’elle filait sur la mer, toutes voiles dehors, une mouette avec un joyau au cou.

Les enfants s’étaient joints aux matelots et, pendant une heure, ils avaient travaillé autant et peut-être même plus qu’eux.

Jusque-là rien de bien mal, n’est-ce pas ? mais voilà où les choses s’étaient gâtées : un camarade de Salvador, un mauvais sujet, lui avait dit :

« Il faut nous payer, puisque nous avons pris de la peine !… moi, d’abord, je me bourre les poches de charbon !… »

Et Salvador avait eu la faiblesse de suivre son exemple.

Quand il fut rentré chez lui, où il n’y avait plus personne — la vieille cousine étant