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JULES VERNE

« Que voulez-vous, mon cher John ?... répon­ dit Max Huber. Je m’attends à tout, même à ce que ces êtres-là me tapent sur le ventre, en disant : « Comment va, mon vieux ? » De temps en temps, Li-Mai, abandonnant la main de Llanga, allait à l’un ou à l’autre, comme un enfant vif et joyeux. Il paraissait fier de promener ces étrangers par les rues du village. II ne le faisait pas au hasard, — cela se voyait, — il les menait quelque part, et il n’y avait qu’à suivre ce guide de cinq ans. Ces primitifs, — ainsi les désignait John Cort,— n’étaient pas complètement nus.Sans parler du pelage roussàtre qui leur couvrait en partie le corps, hommes et femmes se drapaient d’une sorte de pagne végétal, à peu prés semblable, quoique plus grossièrement fabriqué, à ces tissus d’agoulie en fils d’aca­ cia, qui s’ourdissent communément à PortoNovo dans le Dahomey. Ce que John Cort remarqua spécialement, c’est que ces tètes wagddiennes, arrondies, réduites aux dimensions du type microcépha­ lique, très rapprochées de l’angle facial hu­ main, présentaient peu de prognathisme et les arcades sourcilières n’offraient aucune de ces saillies qui sont communes à toute la race simienne. Quant à la chevelure, c’était la toison des indigènes de l’Afrique équatoriale, lisse avec la barbe peu fournie. « Et pas de pied préhensif, dit John Cort.

— Et pas d’appendice caudal, lit observer Max Huber, pas le moindre bout de queue !

— En effet, répondit John Cort, et c’est déjà un signe de supériorité. Les singes anthro­ pomorphes n’ont ni queue, ni bourses à joues, ni callosités fessières. Ils se déplacent horizon­ talement ou verticalement à leur gré. Mais une remarque a été faite, c’est que les quadru­ manes qui marchent debout ne se servent point de la plante du pied et s’appuient sur le dos des doigts repliés. Or, il n’en est pas ainsi des Wagddis, et leur marche est absolu­ ment celle de l’homme, il faut bien le recon­ naître. »

Très juste cette observation et, nul doute, il s’agissait d’une race nouvelle. D’ailleurs, en ce qui concerne le pied, certains anthro­

pologistes admettent qu’il n’y a aucune diffé­ rence entre celui du singe et celui de l’homme, et ce dernier aurait même le pouce oppo­ sable si le sous-pied n’était déformé par l’usage de la chaussure.

11 existe en outre des similitudes physi­ ques entre les deux races. Les quadrumanes qui possèdent la station humaine sont les moins pétulants, les moins grimaçants, en un mot les plus graves, les plus sérieux de l’espèce. Or, précisément, ce caractère de gravité se manifestait dans l’attitude comme dans les actes de cette population de Ngala. De plus, lorsque John Cort les examinerait attentivement, il allait constater que leur sys­ tème dentaire était identique à celui de l’homme.

Ces ressemblances ont donc pu jusqu’à un certain point engendrer la doctrine de la variabilité des espèces, l’évolution ascension­ nelle préconisée par Darwin. On les a même regardées comme décisives, par comparaison entre les échantillons les plus élevés de l’échelle simienne et les primitifs de l’huma­ nité. Linné a soutenu cette opinion qu’il y avait eu des hommes troglodytes, expression qui, dans tous les cas, n’aurait pu s’appliquer aux Wagddis, lesquels vivent dans les arbres. Vogt a même été jusqu’à prétendre que l’homme était sorti de trois grands singes : l’orang, type brachycéphale au long pelage brun, serait d’après lui l’ancêtre des négrilos ; le chim­ panzé, type dolichocéphale, aux mâchoires moins massives, serait l’ancêtre des nègres ; enfin, du gorille, remarquable par le déve­ loppement du thorax, la forme du pied, la démarche qui lui est propre, le caractère ostéologique du tronc et des extrémités, serait sorti l’homme blanc. Mais, à ces similitudes, on peut opposer des dissemblances d’une im­ portance capitale dans l’ordre intellectuel et moral, — dissemblances qui doivent fairejus(ice des doctrines darwiniennes. Il convient donc, en prenant les caractères distinctifs de ces trois quadrumanes, sans admettre toutefois que leur cerveau possède les douze millions de cellules et les quatre millions de fibres du cerveau humain, de